Pierre Richard : Burlesque 101
Scène

Pierre Richard : Burlesque 101

Qu’importe sa tignasse grise, on le surnomme encore "le grand blond". C’est sans doute parce que malgré le passage du temps, malgré ses presque 70 ans, le comédien à l’allure dégingandée, l’éternel distrait, ne vieillit pas. PIERRE RICHARD est plus qu’un acteur de comédie: c’est un personnage burlesque dont les histoires aussi touchantes que rocambolesques parlent d’un grand bonheur, celui que le comédien aperçoit autant dans les gestes les plus banals que dans les scènes grandioses. Dans Détournement de mémoires, il remonte le temps et examine pour notre immense plaisir les pierres et les grains de sable qui ont parsemé sa carrière de grand comique français.

Comme le dit si bien le comédien et scénariste Christophe Duthuron, qui a collaboré à l’écriture du livre Comme un poisson sans eau (Le Cherche Midi, 2003), le livre à l’origine du one man show Détournement de mémoires, Pierre Richard trimballe un sac de cailloux, ramassés par-ci, par-là, comme tout le monde… Mais non content d’être heureux, il veut savoir pourquoi. Alors il vide son sac et scrute son contenu, y trouvant la source intarissable de sa joie de vivre.

De toute évidence et malgré sa légendaire distraction, l’acteur né Pierre Defays le 16 août 1934 à Valenciennes, dans le Nord de la France, est doué pour le bonheur. C’est avec un égal contentement qu’on l’écoute raconter son cheminement à coups de petites diatribes poétiques ou de saynètes illustrant presque toujours un propos aussi drôle qu’instructif sur les différentes manières de faire rire le public, qu’il captive presque instantanément. C’est d’ailleurs peut-être ce qui impressionne le plus dans Détournement de mémoires. Pas besoin, pour savourer le spectacle, de bien connaître la longue et fructueuse carrière du comédien mieux connu au Québec pour ses performances dans Le Distrait (1970), Le Grand Blond avec une chaussure noire (1972), La Chèvre (1981), Les Compères (1983), Le Jumeau (1984), Les Fugitifs (1986) et plus récemment Robinson Crusoé, une coproduction franco-cubaine tournée en partie dans les studios Mel’s, à Montréal – c’est d’ailleurs durant ce tournage, en 2002, que le comédien et son complice ont écrit Comme un poisson sans eau.

Les jeux du hasard
Rencontré dans sa résidence parisienne en mars dernier, Pierre Richard est confortablement installé derrière son bureau. L’allure décontractée, celui qui a goûté pour la première fois en 1994 à l’instantanéité du théâtre raconte la genèse de son premier one man show. "L’origine est tout à fait curieuse parce que ce n’était absolument pas prémédité. Je me suis amusé à raconter mes souvenirs à mon copain Christophe Duthuron, puis on s’est amusé à les écrire. On n’avait aucun projet de théâtre en tête, ni même de projet de livre. Comme un poisson sans eau est né d’une sorte de jeu destiné à nous faire rire et à surprendre l’autre. Puis un jour, j’ai rencontré un ami à la montagne et je lui ai proposé de lire le manuscrit. Quand il est redescendu de sa chambre, il m’a dit: "Il faut que t’en fasses un livre." Je l’ai laissé contacter les Éditions du Cherche Midi, qui l’ont ensuite publié", relate le comédien. Ce qui est parti de rien est donc devenu un livre, puis un spectacle. "Quand j’ai eu l’idée du spectacle, j’ai demandé conseil à Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point à Paris. Il m’a donné rendez-vous un après-midi et après m’avoir installé à côté d’une table avec une lumière, il m’a dit: "Lis-moi ça." Je lui ai lu 15 pages et il a lancé: "Je prends!"", s’exclame-t-il.

Cette anecdote, que Pierre Richard raconte en déployant son immense talent de conteur, se déroule en 2003. Depuis, il a eu l’occasion de peaufiner Détournement de mémoires au Théâtre du Rond-Point et au Petit Théâtre de Paris. Le spectacle présenté au public québécois sera exactement le même car, selon le comédien, pas besoin de connaître tous les personnages dont il parle pour comprendre et rire. "J’espère que les Québécois s’amuseront autant de mes histoires que les Français, parce qu’ils connaissent aussi Bernard Blier et Jean Carmet. Au-delà des acteurs, ce sont des personnages que je décris", assure-t-il.

Physique de l’emploi
Le one man show a toutefois subi quelques adaptations par rapport au livre: "J’ai gardé les extraits qui me paraissaient les plus adaptables au théâtre. Je ne voulais pas être tout le temps assis sur une chaise pour raconter", explique le comédien. Il parle néanmoins beaucoup au public, puis tout à coup se lève pour illustrer ce qu’il vient de lui dire. "Comme Macbeth", commente Pierre Richard. Il ajoute que pour le spectacle, il avait à cœur de garder une certaine colonne vertébrale qui s’articule sur deux axes: le burlesque, comme il en parle au début et à la fin, puis, d’une manière générale, le concept du bonheur.

Détournement de mémoires, c’est donc le burlesque et le bonheur. "Dans le livre, il n’y a pas ça", affirme le comique. Le spectacle ne laisse pas non plus beaucoup de place à l’improvisation: "Je tiens à la précision du texte, ce qui me permet de faire ensuite des improvisations minimes sur tout ce qui est physique. Cela dit, quand je dis , je ne fais pas la même chose tous les soirs parce que ce n’est pas du texte. Ça dépend du public", dit celui qui aime bien carburer à l’énergie des spectateurs. "C’est comme ça de manière générale avec le théâtre mais ça l’est encore plus avec mon spectacle, car ce n’est pas complètement du théâtre. Je ne joue pas avec des acteurs mais avec le public. Au théâtre, on joue en parallèle avec le spectateur mais on regarde les acteurs dans les yeux – le premier conseil qu’on puisse donner à un jeune comédien, c’est d’ailleurs d’écouter ce qu’on lui dit! Mais bon, au théâtre, on ne regarde pas le public, et si on se retourne vers lui, on ne le voit pas. Tandis que moi, je le regarde, c’est à lui que je parle et c’est à lui que j’explique quelque chose. Donc, effectivement, plus le public est réceptif, plus la mayonnaise monte et plus elle monte, plus je surfe sur la vague."

La mayonnaise monte particulièrement bien lorsqu’il raconte à sa manière une scène du film Le Grand Blond avec une chaussure noire, dans laquelle Mireille Darc, entièrement nue, traverse une pièce pour le rejoindre dans un lit. À l’époque, la comédienne lui avait dit avant de tourner la scène: "Tu me regardes dans les yeux sinon je te fous une baffe!" Dans son one man show, cependant, Pierre Richard en rajoute un peu. "Rien de ce que je raconte dans le spectacle n’est faux. Ce que je me permets, ce sont des exagérations dans le style. J’aurais pu raconter l’anecdote avec Mireille Darc en trois lignes, mais ça n’aurait pas été drôle. Le sketch, c’est tous les stratagèmes que j’aurais pu trouver pour baisser les yeux. Chose que je n’ai pas faite durant le tournage! Quand même, je pensais plus à mon rôle qu’à ça", assure le comédien, amusé. Il avoue par ailleurs que sa performance, très physique, lui demande plus d’énergie que le théâtre: "Mon spectacle ressemble à un match de boxe. Je sais comment je rentre, mais je ne sais pas comment je vais en sortir!"

Cette entrevue a été réalisée sur l’invitation de Juste pour rire.
Du 12 au 17 et du 20 au 23 juillet
Au Théâtre du Nouveau Monde
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