Cabaret – Entrevue avec Sylvie Moreau : Fille de joie
Bonheur et horreur sont-ils compatibles? Le décadent Cabaret de Joe Masteroff, John Kander et Fred Ebb installe ses profanes paillettes au Grand Théâtre, dans une mise en scène de DENISE FILIATRAULT et une traduction d’YVES MORIN. C’est la réjouissante SYLVIE MOREAU qui chaussera les talons hauts de Sally Bowles.
Personne n’a sourcillé en apprenant que Sylvie Moreau incarnerait la papillonnante chanteuse du Kit Kat Klub. Outre son apparente propension au bonheur, nous savions la comédienne expérimentée en chant et en danse. "Eh bien pour moi ce fut l’effet inverse, confie l’actrice. Au départ, je suis tombée des nues, raconte-t-elle. Je ne me voyais pas du tout faire ça. Mon expérience en danse ou en mime corporel est complètement dans une autre esthétique du mouvement. Ici, ce qu’on me demande est très langoureux. Je suis déliée physiquement mais de là à avoir la fluidité que ça demande… J’avoue que ça me faisait peur", explique-t-elle avec un brin d’humour.
"Mais dès que j’ai lu la pièce, je l’ai trouvée magnifique, poursuit-elle. Habituellement, je n’aime pas les comédies musicales. Moi, quand l’action s’arrête soudainement pour une chanson, je décroche! Or ici, la trame dramatique m’interpellait, elle n’était pas édulcorée comme lorsque le "show" domine. J’aime le théâtre, les personnages forts, porteurs de quelque chose. Cabaret me comble sur ce plan parce qu’il privilégie le parcours des personnages au-delà de la performance technique. Pour moi, c’est plus émouvant de voir un personnage chanter qu’une chanteuse. C’est pour cela d’ailleurs que ce sont ici des acteurs qui chantent."
Cabaret, c’est avant tout une Allemagne assiégée peu à peu par le nazisme, et vue à travers la lorgnette un peu scabreuse d’un club provocant. C’est aussi l’histoire de Sally Bowles, chanteuse incandescente qui sera un révélateur pour plusieurs des personnages. "Pour moi, Sally Bowles est un petit oiseau fou, elle représente l’inconscience attachante, explique la comédienne. C’est une passionnée qui n’a aucune arrière-pensée sur rien. C’est très difficile à jouer parce qu’on est habitué comme acteur à jouer du sous-texte. Là, je me retrouve avec un personnage qui n’en a pas! Il ne faut jamais que je rationalise pendant que je joue. Donner cette légèreté-là sans aucun cynisme, aucune ironie, est l’un des gros défis du rôle."
Pourtant, Sylvie Moreau se défend bien de considérer son personnage de façon unidimensionnelle. "C’est une défonceuse de portes tout en étant d’une vulnérabilité presque tragique. Elle n’a conscience ni du drame autour d’elle, ni de son drame personnel. C’est magnifique de voir sa possibilité d’abandon et ce côté aveugle au monde qui s’écroule tout autour."
Années folles
Sous des atours festifs, Cabaret représente aussi un monde de transgression. "Dans les années 30, la transgression des tabous sexuels avait une charge très forte. Je considère que dans le contexte, ça demande un effort constant de se départir de la peur du jugement." Une thématique sensible, mais qui se conjugue bien avec le rire. "L’humour est pour moi une façon extrêmement habile d’aller chercher les gens. Dans Cabaret, le public voit des choses spectaculaires, très sexy, et en même temps le propos de la pièce se fait de plus en plus confrontant. Le spectacle s’acidifie."
Au-delà du trajet de Sally Bowles, Cabaret trace le portrait de toute une époque à travers la vingtaine de personnages présents sur scène, incarnés entre autres par François Papineau, Normand D’Amour, Véronique Le Flaguais et Marie-Ève Pelletier. "C’est un show de gang et le groupe est très généreux. Ça me rappelle beaucoup l’esprit de L’Odyssée et je sais qu’une telle ambiance de travail est clairement perceptible par le public, poursuit la comédienne enchantée de travailler pour la première fois sous la direction de Denise Filiatrault. "Denise est très préoccupée par la vérité des personnages. Elle a tout de suite su voir mes conforts et comment m’en faire sortir. C’est formidable de savoir qu’elle saura me faire apparaître en quelqu’un de différent."
Sylvie Moreau n’attend pas que le bonheur frappe à la porte, elle court à sa rencontre. "Cette pièce dit d’agir sans attendre et j’ai toujours cru profondément à cela. J’ai eu la chance de naître avec cette espèce de confiance en la vie qui fait que je n’y serai jamais passive. Maintenant, j’ai la chance extraordinaire de dire cela sur une scène. On est tellement entourés par la peur… Il ne faut jamais la laisser gagner du terrain!"
Du 29 au 31 juillet à 20 h et le 1er août à 16 h
Au Grand Théâtre
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