Vie et mort du Roi boiteux : Critique: Vie et mort du Roi boiteux
Jusqu’au 1er août
Dans la cour des Oiseaux de passage
En reprenant, pour la première fois depuis sa création, Vie et mort du Roi boiteux de Jean-Pierre Ronfard, le Théâtre des Fonds de Tiroirs s’aventure dans une œuvre presque mythique, de taille et de densité imposantes. Avec une énergie et un enthousiasme contagieux, le metteur en scène Frédéric Dubois et son équipe en font un spectacle foisonnant, une fête.
En huit heures de représentation, le cycle de six pièces composant Vie et mort… nous mène au cœur d’une ruelle de Montréal. S’y affrontent les Ragone et les Roberge, en lutte pour le pouvoir; au centre, Richard Premier, qui deviendra le Roi boiteux. Dans cet univers se côtoient beauté et grotesque, se croisent personnages pleins de contradictions, fragiles, monstrueux ou attachants. Entre la rue Bourbonnais et l’Azerbaïdjan, entre le carré de sable et le désert, la pièce navigue entre quotidien et poésie, humour et gravité. Le texte mêle aussi registres, niveaux de langue et emprunts, de l’allusion brève à l’insertion d’extraits de grandes œuvres littéraires, le tout intégré en une somme étonnante. Par ces références tissées à même l’anecdote principale, c’est l’histoire de l’être humain que raconte la pièce, puisant aux traditions et aux versions multiples de sa quête de pouvoir, qu’il soit politique, monétaire ou amoureux. Ces variations, créant des ruptures souvent très drôles, nous maintiennent toujours entre l’ici et l’ailleurs, entre le jeu et la réalité.
Pour rendre cette pièce complexe, Dubois mise sur le ludisme, l’invention, mais aussi sur la simplicité, dans un appel à l’imagination nimbant l’espace, les éléments de décor et de costumes de l’aura de la fiction. Au centre: l’acteur, et sa force d’interprétation. Chaque comédien fait preuve d’un talent solide, d’un investissement total, et l’ensemble témoigne d’une direction sensible et assurée, mêlant joyeusement, et avec brio, registres et atmosphères. Tous les comédiens sont impeccables; on mentionnera toutefois la prestation impressionnante de Catherine Larochelle en Judith Roberge qui, dans une même phrase, nous fait passer du rire aux larmes.
Si l’intérêt des six pièces n’est pas toujours égal, on se laisse porter avec bonheur par cette odyssée au pays du Roi boiteux. Y souffle un vent de folie, de liberté, faisant à coup sûr de ce spectacle un grand moment de théâtre. Et devant cette pièce sur le pouvoir, on ne peut s’empêcher de constater celui, immense, de l’imaginaire.