Crystal Pite et les BJM : Genre humain
Les Ballets Jazz de Montréal nous présentent Xspectacle, une soirée entièrement dédiée à leur chorégraphe en résidence CRYSTAL PITE. Une créatrice et interprète qui s’est en outre fait remarquer lors de son passage au FIND 2003, sous la bannière de sa compagnie Kidd Pivot.
Vers le milieu des années 90, après plus de 25 ans d’activités, la compagnie Les Ballets Jazz de Montréal avait perdu son souffle de jeunesse. D’ailleurs, on entendait très peu parler d’elle. Il s’agissait alors d’une compagnie en quête d’identité, selon Louis Robitaille, directeur artistique en poste depuis 1998: "À cette époque, je me souviens que la compagnie venait de voir passer quatre ou cinq directeurs artistiques en quelques années. C’était un peu le règne de la confusion. Quand il y a trop de changements comme ça à la direction, on perd l’unité artistique qui permet de garder le cap, la vision ou le but projeté au départ."
Lorsqu’on lui a offert ce poste, l’ancien premier danseur des Grands Ballets Canadiens de Montréal savait que le défi était de taille et que la charge serait lourde. Mais il a accepté parce qu’il croyait posséder la vision artistique qui permettrait aux BJM d’entrer dignement dans le troisième millénaire. "Je voulais retrouver cette effervescence que j’avais connue dans les premières années de la compagnie, en 1972-73, alors que j’y faisais mon entrée comme étudiant boursier. La manœuvre principale, à mon arrivée, ça a été de rediriger la compagnie vers un aspect plus contemporain, d’une part, et d’autre part, de ramener davantage l’aspect "balletique". Car je crois en toute honnêteté que le summum de l’entraînement en danse, c’est la technique classique. Une technique qui n’est pas bien loin de ce que le ballet jazz est à la base, car dans le nom "ballet jazz", il y a le mot "ballet". Ce style désignait, au départ, la précision et la rigueur du classique appliquées au jazz."
Changer d’ère
Malgré ce retour à une formation de base plus classique, Louis Robitaille a tenu à rester très près des racines de la compagnie, qui sont plutôt modern jazz. "Mais comme on est au 21e siècle et que la danse, maintenant, c’est beaucoup plus que ça, on a tenté une démarche plus fusionnelle s’inspirant de tous les styles de danse, de toutes les nouvelles tendances… et parfois même d’autres formes d’art, tel le cirque, par exemple, ou le théâtre, comme c’est le cas avec notre chorégraphe invitée."
Ce qui amène à un autre changement majeur: le développement de nouveaux projets permettant d’ouvrir les horizons de la compagnie, telle cette résidence de trois ans offerte à la chorégraphe canadienne Crystal Pite. "Le spectacle qu’on verra au TNM, c’est le fruit de trois ans de collaboration entre elle et les BJM", nous dit le directeur artistique avec une pointe de fierté dans la voix. Ce genre de projet est intéressant dans la mesure où il permet au chorégraphe de développer une relation de confiance, une certaine intimité et une complicité avec les danseurs. Ce qui donne un produit artistique plus "personnalisé". Chaque danseur trouve alors sa place comme individu dans l’ensemble chorégraphique.
Le fait de proposer une soirée complète à un chorégraphe était un projet innovateur pour les BJM. "C’était un peu un coup de dés, nous avoue Louis Robitaille, mais j’avais énormément confiance en Crystal." Quand on lui demande pourquoi il l’a choisie, il répond sans hésiter: "Elle possède un immense talent. C’est l’une des perles de la création en danse au Canada. Crystal, c’est tout simplement mon coup de cœur."
Crystal Pite
En 1995, Crystal Pite crée une première fois pour les BJM. Le projet s’intitule Pendulum, une pièce d’une vingtaine de minutes. Peu après, la jeune chorégraphe originaire de Vancouver part pour l’Europe, danser durant cinq ans au Ballet Frankfurt sous la direction de William Forsythe. En 2001, elle revient au Canada où elle forme sa propre compagnie, Kidd Pivot. À peu près au même moment, elle est de nouveau contactée par les BJM… "L’idée, explique Louis Robitaille, c’était de créer une soirée complète sur trois ans; une trilogie, à raison d’un volet par année."
"Pour le premier volet, renchérit la jeune chorégraphe, je me suis donné comme mandat d’acquérir une connaissance des capacités physiques des danseurs à travers une étude du mouvement. Ça a mené à Short Work:24, une combinaison de 24 petites pièces d’une minute chacune." Celles-ci sont toutes accompagnées d’une musique originale écrite sur mesure par Owen Belton, avec qui la chorégraphe collabore depuis dix ans.
"Pour le deuxième volet, poursuit-elle, je me suis questionnée sur mon rôle de chorégraphe au sein de la compagnie. J’étais fascinée par la loyauté de la compagnie face aux attentes d’un certain public, qui lui était fidèle. Je me suis alors demandé comment il me serait possible, d’un côté, de prendre des risques créatifs en nous mettant, les danseurs et moi, au défi, et, de l’autre, de respecter les attentes de ce fameux public." De cette réflexion bipolaire sur le rapport entre art et divertissement est né le Stolen Show.
"Après trois ans de travail avec les BJM, j’ai senti que nous avions atteint, ensemble, un degré d’empathie et de confiance qui rendait le processus d’échange, autour de la création, plus direct et fertile." Xspectacle – qui se trouve à être le titre de la troisième partie et de la trilogie au complet – est donc en quelque sorte l’expression de cette solide relation qui s’est bâtie entre les danseurs et la chorégraphe. "Pour ce troisième volet, j’ai voulu montrer au public la manière dont j’ai pu voir la compagnie, de l’intérieur, pendant les trois années de résidence. J’ai voulu présenter au spectateur le danseur à l’œuvre, sans qu’il y ait de séparation entre l’individu et l’interprète, entre le cheminement personnel et la performance de groupe. Je crois que cette soirée est en fait un anti-spectacle… l’opposé d’un show."
Évolution humaine
Il semble donc s’agir d’un ouvrage possédant une structure complexe, si l’on en croit le discours de la créatrice. Aussi, la réflexion qui sous-tend le travail de création nous donne l’impression d’une réalisation longuement mûrie, révélant toute la richesse d’une pensée qui a voyagé, qui a vu et qui a remis en question cette vision du monde. La jeune chorégraphe, à l’instar d’une de ses grandes influences, William Forsythe, possède une connaissance du mouvement humain qui sert son œuvre. "J’ai beaucoup appris auprès de William Forsythe, nous dit-elle d’ailleurs. Il y a certaines choses que j’ai apprises de lui, et qui me servent énormément dans mon travail actuel. Comme ne pas avoir peur de jeter une partie ou la totalité de ce qui a été créé, si cela est nécessaire. Ou encore, utiliser l’écriture chorégraphique et l’improvisation comme moyen de retourner à l’essence de la danse. Mais il m’a également sensibilisée au fait de percevoir tout événement ou toute personne comme une potentielle source d’apprentissage et d’inspiration. J’ai d’ailleurs appris tout cela en adoptant cette attitude d’ouverture et en suivant simplement son exemple."
Crystal Pite dit avoir adoré son expérience avec les 14 talentueux interprètes des BJM. "Ils m’ont apporté une perspective différente, un certain équilibre, de la stabilité et, surtout, beaucoup d’inspiration. Je vois ces gens comme étant humainement engagés dans ce qu’ils font, disciplinés, talentueux et très ouverts. Je trouve aussi leur esprit d’équipe tout à fait impressionnant."
Tout cet enthousiasme promet une soirée de ballet jazz contemporain remarquable…
Du 2 au 11 septembre
Au Théâtre du Nouveau Monde