Tout ce qui est debout se couchera : Chambres avec vue
Ce sont ce que j’appelle des mopologistes. C’est-à-dire qu’ils sont des vadrouilleurs, des concierges adjoints qui se livrent à des méditations et nous offrent des discours. Au gré des conversations entre collègues et avec les patients (ils travaillent à l’entretien des étages palliatifs et des tissus légers du Centre hospitalier de longue durée de Notre-Dame-des-Martyrs), ils ont peu à peu pris conscience de la mort. En côtoyant la mort, l’attente de celle-ci et le quotidien des aînés, ils se mettent à échafauder des réflexions, parfois bien malgré eux, qui possèdent le charme des premiers questionnements, mais où pointe aussi l’ampleur du sujet. Comme si nos deux techniciens de surface suppléants grignotaient l’infini par le trou de la serrure.
Petit K. et Grand D., respectivement incarnés par Olivier Kemeid et Patrick Drolet, forment un duo de vadrouilleurs sympathiques et très humains. Intelligents mais sans grandes ambitions, ils réagissent différemment mais tous deux fortement à la perte des gens qu’ils ont connus. À travers eux et quelques personnages, on arrive à lire leurs petites histoires singulières, leurs peurs et leurs forces. L’histoire se morcelle donc en tableaux, où l’anecdote et le particulier viennent illustrer une trame théorique qui parfois prend le devant de la scène (par des narrations ou des scènes entre parenthèses où la mort en personne vient faire son numéro), mais qui le plus souvent sous-tend le texte comme une rumeur, un rythme important dont on oublie la présence parce qu’il s’intègre bien. On fait appel à quelques philosophes qui ont pensé la mort, mais surtout, on incarne l’effet et les résonances de la mort par le biais de petites expériences personnelles. C’est là qu’ils frappent fort: lorsque l’anecdotique possède les accents de vérité qui précèdent le théorique.
Kemeid, qui est surtout auteur, et Drolet, qui est surtout acteur, ont écrit conjointement Tout ce qui est debout se couchera, qu’ils ont aussi mis en scène avec Stéphanie Capistran-Lalonde (qui forme avec les deux autres la compagnie Les Trois Tristes Tigres). Nul doute que cette belle équipe a fait beaucoup de recherches pour parvenir à élaborer des numéros où, de manière très simple, des personnages entrent dans le vif du sujet tout en étant touchants et en nous faisant rire. N’oublions pas que cette jeune compagnie a conçu le Cabaret Libre International de Montréal (CLIM), et que l’humour est une de ses forces. Pas qu’ils tournent les grands problèmes en dérision, ni qu’ils soient de véritables cyniques, mais on pourrait dire que le parti pris est, sinon optimiste, du moins joyeux. Sans être directement un hommage à la vie, nous pouvons dire qu’aux frontières du tragique, on l’embrasse. Un baiser d’aéroport, sans rancune, avant un voyage mérité.
On retient de cette pièce l’intelligence du propos et la connaissance des moyens. On exploite savamment les accessoires et la matière. Les tigres connaissent leurs limites: pas de prétention ni de formules creuses, et on se souviendra longtemps de quelques performances savoureuses du jeune Patrick Drolet.
Jusqu’au 28 août
À l’Espace Libre
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