Rencontre Daniel Roussel : La misère des riches
Scène

Rencontre Daniel Roussel : La misère des riches

Chez Duceppe, on ouvre la saison avec un cocktail qui a fait ses preuves ailleurs: Edward Albee monté par DANIEL ROUSSEL. Ce dernier nous parle avec passion des thématiques explorées par le dramaturge américain.

Quand on parle de milieu, on parle de centre, d’un point qui est à égale distance des extrêmes. On parle d’équilibre. Le mot signifie aussi le giron, la classe sociale, la famille. Avec Délicate Balance d’Edward Albee, on entre dans le vif du sujet. Si on traduit le titre, on obtient littéralement Fragile équilibre. "Chez Albee, nous dit le metteur en scène Daniel Roussel, qui monte pour la troisième fois une pièce de cet auteur, il s’agit toujours des mêmes ingrédients, mais jamais du même dessin." On entre donc dans un microcosme, dans une "famille" bourgeoise des environs de New York qui annonce l’harmonie mais où sommeille l’orage et domine la peur d’exister.

Ici, l’action ou le point de départ est simple. "Il s’agit d’une soirée habituelle chez Tobie et Agnès (François Tassé et Andrée Lachapelle) où il y a la sœur, Claire (Béatrice Picard), une alcoolique vivant avec eux, qui fait un scandale en claquant la porte et en se réfugiant dans sa chambre, affichant son attitude insupportable. Arrivent leurs meilleurs amis, Harry et Edna (Benoît Girard et Louise Turcot) qui, eux, surgissent mystérieusement paniqués. On découvre alors des histoires d’amour mal réglées, mal ficelées, mal digérées, mal engagées. On boit pour oublier tout ça, on boit pour supporter. " "Ensuite, poursuit Daniel Roussel, la fille d’Agnès, Julia (jouée par Violette Chauveau), débarque de Californie après son quatrième échec marital. Au milieu de tout ça, on vit, on fonctionne, on a des codes. On a construit des balises pour se supporter, pour exister, pour fonctionner. Mais c’est faux, quand on se pose les vraies questions, la solitude est abyssale, et c’est ça, le vrai sujet de la pièce."

"On cherche une porte de sortie, explique encore le metteur en scène. Pour certains, c’est l’alcool ou l’adultère et pour d’autres, c’est autre chose." La pièce est sur la peur de vivre et Albee, avec son sens du dialogue et de l’échange, avec son sens de l’observation exceptionnel, a fait de Délicate Balance un "kaléidoscope remarquable", d’après Roussel. L’équilibre est une facette, un leurre, et on essaie par tous les moyens de maintenir cette fragile denrée. Pour Agnès, la maîtresse de maison qui se trouve à être le personnage apparemment le plus équilibré de l’histoire, "la seule façon qu’elle a d’envisager un soulagement, c’est d’imaginer ce que ce serait de devenir folle." Imaginez les autres…

On a souvent associé Albee au théâtre de l’absurde, mais d’après Roussel, "l’absurde n’est qu’un moyen chez cet auteur. On fait souvent le constat cliché que l’absurde est une suite d’illogismes portant aux éclats de rire, mais la constatation chez Albee va secouer des fonds philosophiques beaucoup plus forts." Il ajoute aussi que si pour certains, vivre est une illusion et que pour d’autres, vivre est une absurdité, "entre Rilke et Ionesco, on peut aller loin!"

"C’est un auteur que, petit à petit, j’ai appris à bien apprécier, à beaucoup aimer", nous dit celui qui montait, en janvier dernier, La chèvre ou qui est Sylvia? au Théâtre du Rideau Vert. Délicate Balance a trente ans de moins que cette dernière. "C’est un auteur de la veine américaine dont j’aime les sujets, la façon dont ils sont traités. J’aime la problématique, j’aime l’approche philosophique de ces thèmes-là. Je trouve qu’Albee possède une écriture d’une très grande qualité, d’ailleurs très difficile à adapter, car ça tourne toujours autour d’une classe particulière, une classe sociale qui est la sienne, et c’est parfois délicat de trouver des équivalences, mais ça se trouve, et c’est ce qui est intéressant."

Benoît Girard signe la traduction de cette pièce abordant la cruauté et l’indifférence envers le reste du monde qui émanent de cette société bourgeoise, mais où s’illustrent aussi le malaise existentiel et la solitude qui s’y rattachent.

Du 8 septembre au 16 octobre
Au Théâtre Jean-Duceppe