Betty à la plage : Théâtre d'été
Scène

Betty à la plage : Théâtre d’été

Avec Betty à la plage, le Théâtre de la Banquette arrière s’attaque au sensationnalisme à l’américaine. Rencontre avec le comédien Éric Paulhus, juste avant son plongeon.

En 2002, le Théâtre de la Banquette arrière présente son premier spectacle. Fidèles à la tradition, les neuf acteurs fraîchement diplômés du Conservatoire d’art dramatique de Montréal offrent, entre les murs de la Salle Fred-Barry, une version revisitée de leur exercice de finissants. Avec Les Femmes de bonne humeur, une pièce de Goldoni revampée par Serge Denoncourt, l’équipe aborde le désabusement amoureux et la surconsommation. Réalisant, grâce à cette première expérience, la profondeur de leurs affinités artistiques, les partenaires décident de s’engager dans un nouveau projet. Malgré leurs nombreuses obligations respectives, Amélie Bonenfant, Sophie Cadieux, Sébastien Dodge, Rosa-Maïté Erkoreka, Mathieu Gosselin, Renaud Lacelle-Bourdon, Anne-Marie Levasseur, Éric Paulhus et Simon Rousseau s’unissent afin de prôner un théâtre capable de divertir aussi bien que de déclencher la discussion. "Initier et mener à terme un projet artistique procure une bien plus grande satisfaction que d’être uniquement embauché, exprime Éric Paulhus. Nous souhaitions tous bénéficier d’une telle zone de liberté, d’un cadre où créer quelque chose qui nous ressemble vraiment."

En découvrant Betty’s Summer Vacation, une comédie cinglante de Christopher Durang, prolifique dramaturge et acteur états-unien né en 1949, la compagnie met la main sur une œuvre qui correspond parfaitement à sa vocation. Créée à New York en 1999, Betty à la plage procède à une sévère critique de l’Amérique actuelle en combattant le feu par le feu, c’est-à-dire en plongeant littéralement dans le délire télévisuel qu’elle récuse. "Cette pièce est une véritable mine d’or, affirme Paulhus, son propos et sa dérision nous ont tout de suite donné envie de la monter."

Espérant rompre avec le rythme effréné de la ville, Betty et Judy, les deux héroïnes, louent une demeure sur le bord de la mer. Loin de leur apporter le repos dont elles avaient besoin, leurs vacances seront transformées en un véritable cauchemar par l’arrivée de colocataires plus étranges les uns que les autres.

DE PRÉCIEUX COLLABORATEURS
Le fait d’être l’un des quatre metteurs en scène de la création Les Hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu’ils le disent?, ou encore d’entreprendre une tournée dès la fin septembre avec son ingénieux Everybody’s Welles pour tous, n’a pas empêché Patrice Dubois, convaincu du potentiel du texte, d’accepter la mise en scène de Betty à la plage. "Nous voulions un habitué de la création et de la recherche, rappelle Paulhus. Patrice était notre premier choix, car il possède toute la rigueur et l’ouverture d’esprit nécessaires au projet." Peu de temps après, inscrivant le spectacle à sa programmation régulière, La Licorne cautionnera les audaces de la jeune compagnie.

Truffée de références culturelles, sociales et juridiques américaines (notamment le procès très médiatisé du couple Bobbitt), la pièce représente un considérable défi pour Jean-François Boily, qui signe avec elle sa première traduction pour le théâtre. Après une tentative de transposition québécoise jugée non concluante, l’action est resituée chez nos voisins du Sud. "Nous voulions éviter que le contexte américain permette aux spectateurs de se déresponsabiliser, explique Paulhus, mais nous avons réalisé que les équivalences étaient inexistantes. Il n’y a rien d’aussi hard en télévision au Québec que ce qu’on voit aux États-Unis. Quand on essaie d’être vraiment trash, ça donne Loft Story!" Au terme d’un processus de traduction qui dura presque deux ans (avec laboratoires, ateliers et présentations publiques), le groupe bénéficie d’une partition hautement éprouvée.

En plus d’aborder sur un mode frénétique et échevelé des enjeux trop souvent occultés, la pièce de Durang semble offrir aux spectateurs un rôle dans le macabre déroulement des vacances de Betty et Judy. Comme le précise Paulhus, "Pour dénoncer la situation, l’auteur a choisi de réunir sur une même scène tous les symboles du sensationnalisme télévisuel. Par sa forme, la pièce permet en quelque sorte au spectateur de conditionner le déroulement de la représentation. Chacun est forcé de prendre position par rapport à lui-même et au reste de l’assistance. C’est loin d’être un pari gagné d’avance, mais quel bonheur de défendre une œuvre à laquelle on croit!"