Frédérick Bouffard : L’éducation sentimentale
Frédérick Bouffard, alors qu’il est étudiant au secondaire, assiste, un peu par hasard, à une pièce de théâtre. "Ça a été une révélation", affirme-t-il.
La "piqûre", qui l’a un peu "pris par surprise", a mené le comédien au Conservatoire d’art dramatique de Québec, où il termine son cours en 2000; depuis, il a joué dans une dizaine de productions, dont le fameux Vie et mort du Roi boiteux, l’été dernier. Cet automne, il retrouve le metteur en scène Frédéric Dubois dans Les Feluettes, de Michel Marc Bouchard.
Dans une prison, en 1952, un groupe de détenus rejouent les événements survenus 40 ans plus tôt, à Roberval, alors que se noue entre Vallier, un jeune aristocrate français, et Simon, une histoire d’amour qui tournera au drame: la mort de Vallier et l’incarcération de Simon. Telle est l’histoire des Feluettes qui, racontant "une grande histoire d’amour" entre deux hommes, en 1912, traite aussi, forcément, d’interdit et de préjugés. Selon Frédérick Bouffard, qui incarne Simon, la pièce touche aussi "la notion de vérité et de mensonge: tout ce qu’on a en dedans et qu’on s’oblige à taire, à cause de la pression sociale. Ce qu’on ne peut avouer, et qu’on n’ose même pas s’avouer à soi-même. Surtout à cette époque-là, où deux hommes qui s’aiment, c’était quelque chose d’inacceptable."
Si le Québec de 2004 est plus ouvert que celui d’il y a un siècle, le comédien est convaincu que le propos de la pièce trouve encore de fortes résonances. "C’est peut-être une illusion de penser que les choses ont changé tant que ça. Oui, les choses ont évolué; l’amour entre deux hommes, entre deux femmes, on sait que ça existe. Mais est-ce qu’on l’a accepté? Ça, c’est autre chose. Parce que les préjugés par rapport aux homosexuels, comme le racisme, ça existe encore. Plusieurs disent qu’ils n’ont pas de préjugés; mais si tu les plonges dans une situation où ils sont confrontés à ça, tu vois qu’il y a peut-être bien des choses qui ne sont pas réglées. La pièce peut faire réfléchir à ce genre de choses. Je pense même que ça peut choquer, dans le sens où ça va ébranler des gens: voir deux hommes s’embrasser passionnément, on n’est pas habitués de voir ça. Mais l’amour étant un sentiment universel, il faut dépasser l’anecdote pour arriver à la vérité de ce drame-là, de cet amour-là."
Avec ce personnage, Frédérick Bouffard joue, pour la première fois, un des rôles principaux d’une pièce. "Depuis l’école, j’ai surtout fait des rôles de soutien. J’avoue que ça faisait mon affaire: il fallait que je passe par là pour ensuite être bien avec un premier rôle, je pense. Maintenant, je me sens assez solide pour affronter un rôle comme ça. Ça n’enlève pas la peur, ni la difficulté du rôle, parce qu’il y a une charge émotive très grande. Mais j’aime l’intensité de la scène. Je m’habitue aussi au fait de me voir la face sur une affiche… Je suis quelqu’un de très discret dans la vie, je n’aime pas trop attirer l’attention. Mais je l’assume: je me dis que ça vient avec le métier. Je suis très content: c’est un rôle qui va me permettre de vraiment me défoncer, si on veut."
Y a-t-il un aspect particulièrement difficile, dans cette pièce? "Oui. C’est un moment ultime d’amour, un moment où on arrive au bout de la corde qui est à la veille de péter; et à un moment donné, ça fait "clac". La difficulté, c’est de réussir à arriver, sans pousser et avec vérité, à ce moment dramatique-là. C’est un mal d’amour, quelque chose qui brûle en dedans, comme une peine d’amour quand tu penses que ton cœur va s’ouvrir. C’est d’arriver à cet état-là, sans forcer, en se laissant aller, en étant vraiment dans l’instant présent, et que ce soit juste."
Et le plus grand plaisir? "C’est de vivre: de vivre toutes ces émotions-là."
Du 21 septembre au 16 octobre
Au Théâtre de la Bordée
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