Comment j'ai mangé du chien : Pièce d'identité
Scène

Comment j’ai mangé du chien : Pièce d’identité

Comment j’ai mangé du chien, du Théâtre Deuxième Réalité, nous plonge dans le désarroi de l’exil.

L’identification à la Russie et à son patriotisme rigoureux ne va pas de soi pour nous, Nord-Américains. La traductrice Anne-Catherine Lebeau a pourtant voulu mettre en images sa traduction d’une pièce d’Euguéni Grishkovets, après s’être sentie particulièrement interpellée par le texte original.

Histoire semblable à celle de milliers de vétérans, Comment j’ai mangé du chien raconte l’horreur du service militaire obligatoire et l’absurdité de l’humiliation constante qui le nourrit. Pourtant, dans le texte de Grishkovets, l’ancien soldat prend moins la parole pour dénoncer cet état de fait que pour partager avec le public ses réflexions sur la transformation qui s’est alors opérée en lui. Comment le jeune homme devient l’homme militaire, puis l’homme inconnu qui revient chez lui après trois ans.

Si l’auteur russe a fait le tour de l’Europe dans le rôle-titre de ce monologue autobiographique, c’est ici l’acteur ukrainien Sacha Samar qui relève le défi. La jeune metteure en scène a toutefois choisi de maintenir une simplicité rappelant le contexte original. Le cadre de la théâtralité se veut ici presque invisible, alors que l’acteur distribue des photos et discute avec le public avant même que tous les spectateurs ne soient entrés. Une bâche de camion semble avoir été installée par l’acteur/personnage, qui attend ostensiblement un appel de la régie pour s’exécuter. L’homme cherche ses mots, oublie des fins de phrases, et s’emballe parfois dans son récit jusqu’à oublier que nous sommes là, à un mètre de lui. Ces dérapages souvent fort bouleversants nous donnent l’impression d’être témoins de la réelle détresse de l’homme en face de nous.

Samar (qui a d’ailleurs fait son service militaire dans le désert du Kazakhstan) parvient à illustrer l’ampleur du désarroi à un point tel que l’on oublie facilement la structure esthétique de Lebeau. Celle-ci, axée sur une naïveté attendrissante, parvient en effet à créer l’illusion d’une véritable confession. Le personnage construit son espace de jeu en cours de réflexion, avec ce qu’il a sous la main. Un tracé de craie par terre délimitera l’île russe, trois allumettes feront figure d’arbres alors que la boîte deviendra un petit train. Parfois, une musique interférera dans cette cohérence artistique, mais Samar maîtrise assez le parcours pour nous faire oublier ces petites artificialités. Seul bémol, cet entêtement à vouloir que le personnage soit incertain de ses mots entraîne un souffle syncopé qui peut être répétitif et épuisant pour l’auditeur.

Le texte de Grishkovets recèle quant à lui de petites perles finement transposées en français par Lebeau. De révélations en souvenirs, le fil de la pensée de cet homme offre aux spectateurs les morceaux d’un puzzle qui lui échappe. Troublant.

Jusqu’au 25 septembre
À la Balustrade du Monument-National
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