Délicate Balance : Jeu d'échecs
Scène

Délicate Balance : Jeu d’échecs

Edward Albee, que l’on joue de plus en plus à Montréal, éclaire avec Délicate Balance le côté obscur de la richesse. Une mouture accomplie, signée Daniel Roussel.

C’est une soirée bourgeoise habituelle chez Agnès (Andrée Lachapelle) et Tobie (François Tassé). Chacun boit son verre, même Claire (Béatrice Picard) qui ne devrait pas. Quand Claire boit, on a droit à des excentricités plus acérées qu’à l’habitude. Quoique boire semble être une habitude et que ses excentricités finissent toujours par déranger. Ce qui, au moins, alimente la conversation et la rend plus colorée. Bref, on boit et on jase. Et ça jase bien dans les textes d’Edward Albee.

C’est au beau milieu des conversations arrosées que débarquent Harry (Benoît Girard, qui signe aussi la traduction) et Edna (Louise Turcot), leurs meilleurs amis, avec, dans le regard et la voix, une panique noire. Ils dormiront là, c’est certain, où Claire vit déjà de toute façon, car où aller quand on a peur et qu’on a un seul véritable couple d’amis? Ils s’imposent et menacent même de s’installer définitivement. Et voilà que Julia (Violette Chauveau), leur fille gâtée et hystérique, débarque à son tour. Son quatrième mariage est sur le point de s’effondrer et elle revient à la maison. La situation est simple: l’auberge est trop pleine et les nerfs sont à bout.

Dans la pièce Délicate Balance, écrite en 1966, les dialogues albiens frappent fort. Les conversations sont intelligentes et parsemées de coups de dents. Le regard, auquel rien n’échappe, est corrosif et critique. Et la langue, au milieu des convenances et de la retenue qu’impose le milieu dont elle est issue, arrive à cerner les faiblesses et les blessures. C’est dans ce malaise qu’Albee voyage et excelle. L’auteur controversé du puissant Qui a peur de Virginia Woolf? (1962) a, malgré les multiples critiques, gagné deux fois le Pulitzer. Ici, la traduction (voire l’adaptation) et les comédiens servent magnifiquement le texte. On pourrait difficilement trouver meilleure distribution pour cette pièce qui exige maturité et compréhension de la part des comédiens. L’âge des personnages est respecté (ce qui n’est pas si courant) ainsi que toute la gamme des traits de caractère chers à Albee. Le snobisme, mais aussi l’élégance et l’absurde (on pense à Julia), tout comme le mordant, y sont bien rendus. Et à travers l’absent (le mari de Julia), on sent parfaitement l’échec de cette société.

Jusqu’au 16 octobre
Au Théâtre Jean-Duceppe
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