Les hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu’ils le disent? : Chambre avec vue
Les hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu’ils le disent? La question est pertinente, mais désirons-nous vraiment une réponse?
Deux directeurs artistiques, quatre auteurs, quatre metteurs en scène et quatre acteurs: ça fait beaucoup de monde pour faire un spectacle cohérent et égal. N’empêche que le tout, malgré les multiples directions empruntées, possède un ton qui confère à cet objet théâtral une certaine unité. Aidé par les "p’tites vites", ces brefs et efficaces commentaires écrits par des gens de théâtre ou par des fidèles du genre qui sont intégrés au spectacle entre chacune des courtes pièces, par l’éclairage, par l’utilisation de la scène et par une direction globale forte, l’ensemble a une forme intéressante qui embrasse ou interroge plusieurs points de vue.
Si l’équilibre esthétique du spectacle est maintenu, sur le plan du texte, les écarts de qualité et de degré d’investissement troublent l’intérêt et l’attention du spectateur. Certains textes sont évocateurs, parvenant à interroger profondément notre regard sur notre propre intimité, d’autres étonnent par leur vacuité, sinon leur inutilité ou leur incapacité à utiliser ou dépasser les lieux communs.
Quatre éléments ressortent gagnants de l’aventure: Denis Bernard, Marina Orsini, Marie-Ève Gagnon et Évelyne de la Chenelière. Bernard et Orsini sont justes, polyvalents, émouvants et crédibles. Très charismatiques, ils savent s’effacer pour supporter subtilement le texte et ils réussissent tous deux à naviguer dans ces univers distincts, à se "virer sur un dix cents" pour enfiler rapidement la peau sensible d’un autre. Et le défi n’est pas mince car tous ces personnages sont à fleur de peau, mais possèdent des sensibilités très différentes et des langages que tout sépare.
Mis en scène par Alice Ronfard, L’enfant nègre de ma tante Céline de Marie-Ève Gagnon est probablement le texte le plus percutant en ce qui concerne les blessures reliées à la sexualité. L’anecdote qui donne son titre à la courte pièce et qui rapporte cette histoire d’une tante bien mariée (et depuis peu) à un blanc, bien comme il faut, qui se trouve à accoucher d’un bébé noir neuf mois après un voyage dans les îles, provoque évidemment des questionnements sur nos possibles réactions. Mais cette histoire n’est qu’une toile de fond à la discussion, inévitable mais désagréable, entre un homme (Bernard) et une femme (Orsini) en couple de longue date, et sexuellement insatisfaits depuis longtemps. Le fossé entre les deux est grand et tout porte à le creuser davantage: l’une est en déshabillé, l’autre emmitouflé, l’une parle de sexe, l’autre de tendresse, l’une affiche l’assurance, l’autre aimait sa fragilité… Et ça continue, et tout ça est mêlé d’amour, de respect comme de dégoût, tissé dans cette matière qu’est le couple à la dérive, avec ses habitudes, ses gestes affectueux encore possibles et ses irritations.
Le mouchoir d’Évelyne de la Chenelière, remarquablement mis en scène par Caroline Binet, vaut à lui seul le déplacement. Poétique, intelligent, d’une belle écriture, il met en lumière les problèmes de communication sans les souligner au crayon gras et, par son adresse, nous fait oublier les défauts du spectacle. Peut-être gagnerait-on à modifier l’ordre des pièces de Les hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu’ils le disent?
Jusqu’au 2 octobre
À l’Espace Go
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