Téo Spychalski : À contre-courant
Téo Spychalski, en se mesurant à Trans-Atlantique, souligne le centenaire de la naissance de son compatriote, l’écrivain polonais Witold Gombrowicz.
À 59 ans, presque un quart de siècle après avoir quitté la Pologne pour le Québec, Téo Spychalski ne semble pas perdre de vue les raisons pour lesquelles il exerce son métier. Ancien assistant de Grotowski, le metteur en scène prend part aux activités du Groupe de La Veillée depuis 1982 et en assure avec ferveur la direction depuis 1993. Afin de souligner le centenaire de la naissance de Witold Gombrowicz, l’institution, en association avec la Corporation Québec-Pologne pour les Arts, consacre toute la saison automnale à cette figure incontournable des lettres mondiales. Au programme: théâtre, rencontres littéraires, films et expositions.
Si Téo Spychalski a fait sa marque en transposant à la scène des classiques de la littérature européenne (Kafka, Dostoïevski, Balzac, Hamsun, Rilke…), il s’est rarement aventuré dans l’œuvre d’un prosateur dont il partage les origines: "C’est seulement la deuxième œuvre polonaise que j’aborde en 20 ans. En vérité, il n’y a pas tant d’auteurs polonais que j’aimerais monter. Il fallait qu’un jour j’en arrive à Gombrowicz. Il y a 12 ans que j’ai ses images dans la tête." Issu d’une famille de la noblesse terrienne, l’homme de lettres voit le jour en 1904, au sud de Varsovie. En 1938, abandonnant définitivement le droit pour la littérature, il publie son premier opus, Ferdydurke. Un mois avant la déclaration de la guerre, il embarque pour l’Argentine à bord d’un bateau de croisière. Prévoyant y rester quelques semaines, il y passera 24 ans.
Alors que Gombrowicz a signé nouvelles et pièces de théâtre, Spychalski a jeté très spontanément son dévolu sur une partition romanesque: "De manière générale, j’ai toujours considéré qu’il y avait autant de matière théâtrale dans les pièces que n’importe où ailleurs. Si on choisit un texte, c’est qu’il contient beaucoup de couleur, de vitalité ou de verve, qu’il traduit une spiritualité de l’humain! En ce sens, les romans de Gombrowicz sont une source inépuisable. Ses pièces, bizarrement, sont plus intellectuelles et philosophiques." Visiblement amoureux de cette œuvre imposante, le créateur a opté pour un texte moins représenté sur les scènes européennes: "Volontairement anachronique, Trans-Atlantique offre une langue particulièrement baroque, une oralité improbable qui s’inspire de la gaweda, un langage employé par les conteurs polonais du 19e siècle, ivres et un peu fous."
L’écrivain et son double
Paru en Pologne en 1952, Trans-Atlantique condense les expériences vécues par Gombrowicz au cours des huit premières années de son exil argentin. Dans une préface rédigée en 1957, l’auteur décrit son roman en ces termes: "[…] c’est une satire, une critique, un traité, un divertissement, une absurdité, un drame, mais rien de tout cela exclusivement, car il n’y a là rien d’autre que moi-même, mon frémissement, mon existence, mon délassement." Dans un Buenos Aires biscornu (éclairé par David Perrault Ninacs), Gombrowicz (Denis Gravereaux) lie connaissance avec de très colorés et déconcertants individus. Parmi ceux-ci se trouve Gonzalo (Marc Zammit), un riche puto (équivalent espagnol de pédé) avide de jeunes proies. L’engouement que ce dandy ressent pour Ignace (Philippe Cyr), un adolescent polonais, va poser un grave dilemme au narrateur: doit-il pousser le garçon dans les bras du pédéraste ou le restituer à son père (Gabriel Arcand)?
Ce choix – devenant rapidement la métaphore d’un affrontement entre les valeurs passéistes de la Pologne traditionnelle et celles, insoupçonnables, de la liberté – place le personnage dans une posture idéologique que le créateur compare volontiers à une danse: "Les conflits, les reculs et les avancées entraînent une véritable danse du verbe. Ébranlé par ce qu’il découvre, l’homme lutte avec sa "polonité". Il traverse toute une mazurka d’hésitations, une série de mouvements qui vont se refléter dans le spectacle." Pour diriger ce qu’il qualifie de "cruelle plaisanterie", le metteur en scène semble miser avant tout sur le ton diaboliquement parodique du roman: "Trans-Atlantique tient un discours très extrême contre le nationalisme exacerbé de la Pologne. Conjurant les élans patriotiques, il tourne en dérision des actes révolutionnaires qui ne sont pas si différents de ceux commis au Québec dans les années 70. Je crois que Gombrowicz pose un regard à ce point satirique sur la bêtise polonaise que son propos en devient universel."
Du 21 septembre au 16 octobre
Au Théâtre Prospero
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