Jean Maheux : Cheval de bataille
Scène

Jean Maheux : Cheval de bataille

Jean Maheux redevient ces jours-ci L’Homme de la Mancha, un personnage dont il possède sans nul doute la ferveur.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre en 1983, Jean Maheux n’a pas chômé. Amant de la création sous toutes ses formes, le comédien emprunte depuis plus de 20 ans des sentiers aussi singuliers que déterminants. Du populaire Napoléon/Lama au funeste I, en passant par Gala ou Demain matin, Montréal m’attend, l’acteur-chanteur a participé à la plupart des comédies musicales marquantes au Québec. Si certaines d’entre elles n’ont pas récolté le succès escompté, le principal intéressé ne semble pas regretter le moins du monde de s’y être aventuré.

Habité par le désir de chanter d’aussi loin qu’il se souvienne, le baryton de 46 ans s’avoue pourtant incapable de se consacrer exclusivement à la musique: "Je suis davantage intéressé par le fait de chanter sur une scène, par le rôle théâtral de la musique au sens large, que par le théâtre musical en tant que genre. Je trouve d’ailleurs le débat autour des concepts de théâtre musical et de comédie musicale complètement stérile." Tout sauf blasé, la tête remplie de projets, l’artiste participe avec autant d’aisance aux "électr-opéras" de Pauline Vaillancourt et à la danse-théâtre de Dulcinée Langfelder qu’aux créations du NTE et de La Manufacture: "Les projets où tout est possible m’intéressent parce qu’ils me permettent de me tenir loin du business! Ce qui compte pour moi, c’est de privilégier la création, de m’assurer que l’invention demeure toujours le moteur."

Lorsque René Richard Cyr propose à Jean Maheux le rôle principal dans L’Homme de la Mancha – la superbe adaptation signée par Jacques Brel en 1968 du célèbre musical de Dale Wasserman (livret), Joe Darion (paroles) et Mitch Leigh (musique) -, le comédien exulte. Après avoir campé Don Quichotte dans une émission pour enfants intitulée Tohu-bohu, il accueille comme une bénédiction ces retrouvailles avec le mythique chevalier imaginé par Cervantès en 1605. Créé à Joliette en 2002, le spectacle produit par Libretto remporte le Masque du public et celui de la meilleure production de théâtre privé. Joué 102 fois à ce jour, dont seulement 9 représentations à Montréal, ce succès public et critique hors du commun prend maintenant l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier.

LE SECRET DU SUCCÈS

Au 17e siècle, en pleine Inquisition espagnole, Cervantès est arrêté et jeté en prison avec son valet. Voilà comment débute L’Homme de la Mancha. Dès lors, ses compagnons de cellule entreprennent de lui faire procès. Pour plaider sa cause, l’écrivain choisit de donner vie aux troublantes aventures de son héros de papier, Don Quichotte de la Manche. Pour l’acteur assumant le rôle emblématique du chevalier à la triste figure, le succès de la production s’explique en grande partie par l’intelligence de l’œuvre: "La construction dramatique est ingénieuse. En plus d’employer le procédé très efficace du théâtre dans le théâtre, elle met en relation le parcours de Cervantès, l’écrivain, et celui d’Alonso Quijano, dit Don Quichotte, sa créature. La pièce aborde ainsi le texte fondateur de la littérature occidentale en même temps que le contexte social dans lequel il a vu le jour."

À l’atout considérable que représente cette ingénieuse construction dramatique – avouons-le, plutôt rare dans le champ de la comédie musicale traditionnelle -, s’ajoute la cohérence manifeste d’une équipe. Alors que Sylvain Scott prête ses traits au fidèle Sancho Pança, Éveline Gélinas défend le douloureux destin d’Aldonza, la Dulcinea du chevalier. Autour d’eux, Stéphane Brulotte, Stéphan Côté, Michelle Labonté, Roger La Rue, Sylvain Massé et Catherine Vidal cumulent courageusement les rôles. Loin d’être camouflés, les musiciens Benoît Sarrasin, Lauréat Cormier et Joël Gagné accompagnent les moindres instants du spectacle. Plutôt que de tabler sur une débauche d’artifices, la représentation évocatrice que René Richard Cyr a imaginée avec Réal Benoît (scénographie), François St-Aubin (costumes), Étienne Boucher (éclairages) et Normand Blais (accessoires) renoue avec une théâtralité ancestrale, celle-là même qui opérait du vivant de Cervantès, sur les tréteaux de la place publique. À quelques jours de retrouver Don Quichotte, Jean Maheux semble épouser plus que jamais l’inébranlable quête de son personnage: "Je pense que lorsque l’on croit vraiment à quelque chose, il faut cesser de se justifier et tout mettre en œuvre afin d’atteindre son rêve."

Jusqu’au 16 octobre
Au Théâtre Denise-Pelletier
Voir calendrier Théâtre