Cirque Éloize : Avant l’orage
Le Cirque Éloize fait une escale à Gatineau avec sa plus récente création Rain – Comme une pluie dans tes yeux, juste avant de s’envoler vers l’Europe. Rencontre avec le bébé de la troupe, Oksana Burliy.
Cet après-midi-là, un ciel lourd, gris-mauve, s’enroulait sur lui-même en grondant et menaçait de s’effondrer. Nous avions rendez-vous sur la terrasse d’un petit café chic et quelques gouttes, déjà, s’écrasaient sur le crâne des clients qui méditaient devant un café crème. Impossible de ne pas repérer Oksana Burliy dès son arrivée: visage lunaire, deux tresses serrées, petit bonnet crocheté, 21 ans mais l’air d’en avoir 15, aussi souple qu’une panthère, grands yeux vaporeux maquillés d’orangé et de bleu. L’acrobate-voltigeuse du Cirque Éloize venait de faire son entrée sur la scène du café.
LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS
"À la fin du spectacle, il pleut, évoque-t-elle en référence au ciel qui gronde, avec cet accent plein d’angles et de ruptures qui dévoile ses origines ukrainiennes. Nous jouons au soccer sous la pluie, comme des enfants, et c’est si agréable que j’en oublie que je suis sur scène! Tout ça m’a appris à apprécier la pluie et je suis certaine que les spectateurs ont aussi cette réaction."
Écrit et mis en scène par le clown-poète suisse Daniele Finzi Pasca, auteur et metteur en scène des spectacles du Cirque Éloize, Rain – Comme une pluie dans tes yeux, cinquième création de la troupe en dix ans d’existence, est construit en tableaux qui activent la mémoire et la nostalgie de l’enfance, mais une nostalgie bienheureuse, comme de manger une lune de miel ou un bonbon-patate, avec tous les souvenirs qui viennent avec.
Et cette dimension narrative, qui a plus à voir avec le théâtre, la danse, la poésie et l’humour qu’avec les tigres traversant des cerceaux en feu et les triples vrilles à dos d’éléphant, rapproche le Cirque Éloize des écoles dites contemporaines, un tournant pris à la fin des années 70, sans qu’il ne perde de vue l’essence du cirque traditionnel pour autant. Voilà pourquoi, en plus de jongler, de faire des culbutes spectaculaires dans les airs pour ensuite retomber comme un chat sur une barre russe large de quatre pouces, de manier les tissus, de s’y enrouler et de faire toutes sortes d’acrobaties à faire pâlir sa mère à partir d’une planche-sautoir, Oksana Burliy joue du tambourin et se glisse dans la peau de plusieurs personnages, passant de la petite fille de six ans à la femme saoule, sans oublier la dame qui pleure: "Je suis une personne timide alors j’ai dû faire le saut, apprendre à jouer devant un public. C’est tellement pas mon genre de pleurnicher, et en plus il faut que je pleure fort, en faisant du bruit! C’est ce que j’ai trouvé le plus difficile."
PETIT SINGE DEVENU GRAND
Nous n’en étions qu’à la demie de nos latte lorsque Krzysztof Soroczynski, le dépisteur artistique et entraîneur-chef du Cirque Éloize, qui a consacré sa vie au cirque et continue de le faire, s’est pointé pour venir voir comment se débrouillait sa protégée. "Tous les artistes du Cirque Éloize sont des êtres exceptionnels. Je suis impliqué dans le casting et je cherche des gens qui peuvent aller au-delà de leur spécialité. Si nous laissions Oksana seule dans le désert, je suis à peu près certain qu’elle survivrait, elle a une formidable capacité d’adaptation, elle adore apprendre et elle est très organisée", dira-t-il en couvrant la petite acrobate d’un regard paternel.
C’est une longue route qui a mené Oksana Burliy jusqu’au Québec. Déjà, à cinq ans, elle était dans Agro-sport, une discipline compétitive qui s’apparente à la gymnastique, très en vue dans les pays d’Europe de l’Est. Son père est mort quand elle avait sept ans et, pour aider sa mère, Oksana a commencé à travailler dans des cirques en Ukraine. Elle a voyagé un peu partout à travers l’Europe, a vécu dans une caravane, jusqu’à ce qu’un jour elle reçoive un appel de Krzysztof Soroczynski. Le Cirque Éloize avait besoin d’une voltigeuse. "Mon père était un homme très exigeant, se souvient-elle. Je ne sais pas s’il serait en accord avec le genre de vie que je mène aujourd’hui. Quand ma mère était enceinte de moi, il était sûr que ça allait être un garçon. Avant que je naisse, il m’avait déjà inscrite à un club de soccer! Je suis sûre d’une chose: il doit être très fier si, de là-haut, il me voit jouer au soccer sous la pluie à la fin du spectacle."
Aux Îles-de-la-Madeleine, patrie d’origine des fondateurs de la troupe, "éloize" signifie "éclair de chaleur". Il y en eut bien quelques-uns pour accompagner les pas d’Oksana lorsque nous nous sommes quittées ce jour-là. Juste avant l’orage.
Les 7, 8 et 9 octobre, à 20h
Au Théâtre du Casino du Lac-Leamy