Marivaux : Coup de langue
Scène

Marivaux : Coup de langue

Chez Marivaux, la langue conjugue amour, argent et rang social pour l’obtention du bonheur. La société a-t-elle tant changé depuis le XVIIIe siècle?

Dans La Fausse Suivante, il n’y a pas de narrateur omniscient; c’est plutôt le spectateur qui a ce privilège! Fort de tout savoir, ce dernier s’abandonne alors aux jeux de la langue comme il se laisse atteindre par le plaisir communicatif qu’ont les comédiens sur scène.

Si on aime Marivaux, si on accepte ses conventions, on tombe rapidement sous le charme de cette production mise en scène par Claude Poissant. L’histoire, aux allures des Liaisons dangereuses de Laclos, met en scène une jeune aristocrate (Pascale Montpetit) qui, pour enquêter sur Lélio (Sébastien Delorme), l’homme sans scrupules qu’elle pourrait épouser et qui marchande les dots comme d’autres les dattes, se déguise en homme. Revêtant donc le costume du chevalier serviteur d’un maître inexistant, elle rencontre Lélio dans son habitat naturel, c’est-à-dire en terre de cruise, et elle fait connaissance avec la comtesse (Julie McClemens), une nouvelle conquête pour celui qui ne veut que faire monter la valeur des dots. Pour mieux manigancer et atteindre ses objectifs, le faux chevalier tente de s’allier quelques serviteurs: Frontin (Alexandre Goyette) et Trivelin (Henri Chassé). Eux aussi, surtout Trivelin, avec le concours d’Arlequin (Pierre Limoges), tentent de tirer leur épingle du jeu en mentant et en louvoyant. Il y a tellement de mensonges et d’escroquerie dans ce petit monde que la découverte d’un traquenard débouche sur un marché plutôt que sur une souffrance.

À l’exception de la comtesse, qui vit les événements à un autre niveau, tous semblent complètement détachés des sentiments. Et même la comtesse, qui donne à l’amour une importance de taille, semble prête à négocier ses élans pour ne pas trop perdre au change. Tout est évalué, chiffré, et ce rapport qualité-prix n’est peut-être pas si désuet qu’on voudrait le croire dans le monde actuel; peut-être les masques sont-ils seulement différents. Mais l’intérêt, le sujet et l’actrice principale de la pièce, c’est bel et bien la langue. Et si tous les comédiens font du bon boulot, c’est dans la bouche de Julie McClemens et d’Henri Chassé, deux habitués des Marivaux et Poissant, que la langue de l’auteur se défend le mieux. Peut-être n’est-ce qu’une question d’affinités avec leur personnage ou de penchant particulier pour ce genre de texte, mais tous deux font un travail exceptionnel et contribuent grandement à ce que la magie opère.

On s’interroge par contre sur l’utilité de certains personnages, comme celui de la vieille dame (Francine Beaudry), qui ne vient que troubler l’unité du spectacle pour quelques effets esthétisants superflus. En revanche, la comédienne Julie Daoust qui, en Mathurine, ne fait que chanter, apporte une couleur et une chaleur séduisante à un objet théâtral finalement fort réussi.

Au Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 16 octobre
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