Theodor Cristian Popescu : Jeux d’enfant
Le Roumain Theodor Cristian Popescu signe avec Histoires de famille sa première mise en scène en sol québécois.
En 1989, alors que le régime communiste roumain s’effondre, Theodor Cristian Popescu entreprend ses études à l’Université nationale de théâtre et de film de Bucarest. Au début de la vingtaine, exerçant son métier dans une société en pleine redéfinition à laquelle sa formation ne l’avait pas préparé, le metteur en scène se trouve rapidement écartelé entre deux modes de production antagonistes. D’une part, un système traditionnel et contraignant entièrement soutenu par l’État et, d’autre part, une indépendance aussi émergente qu’hasardeuse. Malgré tout, en plus de signer des spectacles au sein de prestigieux théâtres nationaux, l’artiste se dote d’un espace de création indépendant en fondant la Compagnie 777. "Après la chute du communisme, personne ne savait comment communiquer avec le public, explique-t-il. Nous n’avions plus besoin des codes et métaphores que nous utilisions auparavant, mais nous ne savions pas par quoi les remplacer. Afin de relancer un dialogue avec les spectateurs, j’ai tenté de trouver une nouvelle théâtralité au sein de la dramaturgie contemporaine."
Grâce à de brefs séjours professionnels en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis, le jeune homme prend goût à l’étranger. Récipiendaire d’une bourse, il s’installe dans le Montana en 2000 et complète une maîtrise en mise en scène. Il y a un an, attiré par la conjonction de francophonie (la Roumanie est traditionnellement francophile) et d’américanité qui caractérise le Québec, Popescu s’établit à Montréal avec sa compagne, la comédienne Cristina Toma. "Je sentais la quarantaine approcher et j’étais curieux de voir le monde. J’ai choisi l’Amérique du Nord parce qu’existe toujours ici cette curiosité qui permet au spectateur de se questionner sur son identité."
En 1997, la plume incisive de Biljana Srbljanovic est révélée au public grâce à La Trilogie de Belgrade, une pièce qui donne la parole à ceux qui ont décidé de fuir l’ex-Yougoslavie. Aujourd’hui, cinq ans après les bombardements de l’OTAN, le théâtre de cette jeune opposante – une des rares Serbes à décrier les politiques de Milosevic à une échelle internationale – jouit d’une solide réputation sur les plus grandes scènes d’Europe. Pour son baptême montréalais, Theodor Cristian Popescu a jeté son dévolu sur Histoires de famille, un texte coup-de-poing de la dramaturge serbe. Traduite en 20 langues et présentée pour la première fois chez nous, cette implacable partition pénètre les rituels d’un groupe d’enfants absorbés par de funestes jeux. Peinture tragique d’une génération sacrifiée, formée dans les antres de la guerre et portant à jamais son empreinte, cette œuvre explore avec une ingénieuse distanciation les ravages psychologiques de la violence familiale. "Cette histoire est faite de fragments, de petites portes qui s’ouvrent sur des endroits malsains. Sans illustrer ou expliquer à qui la faute, elle envoie des signaux qui expriment à quel point la réalité de ces enfants s’apparente à celle du Danemark d’Hamlet."
FAMILLE RECOMPOSÉE
Popescu, qui a déjà monté La Trilogie de Belgrade en Roumanie et côtoyé son auteure lors d’un stage en Allemagne, rêvait depuis quelques années de se mesurer à Histoires de famille. Bien entouré par Fruzsina Lanyi, une scénographe d’origine hongroise formée à l’École nationale, et par la dramaturge Dominik Parenteau-Lebeuf, sa précieuse conseillère artistique, le metteur en scène n’aurait tout de même pas approché cette pièce sans une distribution dont les membres sont issus d’horizons différents. "Je suis parvenu ici à mélanger les identités culturelles et les écoles théâtrales. Les comédiens d’origine russe (Vitali Makarov et Maria Monakhova), roumaine (Cristina Toma) et québécoise (David Buyle) apportent à chacun de ces enfants une personnalité très différente. Au début de ma carrière, j’avais peur de ces différences. Maintenant, je crois que le territoire le plus intéressant, c’est celui de la fraction entre les diverses plaques tectoniques. Bien avant de mener quelque recherche formelle que ce soit, je veux que mes spectacles posent des questions."
À la veille de cette première rencontre avec le public montréalais, Theodor Cristian Popescu semble plein d’espoir. "Je suis très heureux ici, il y a déjà de nombreux projets dans l’air. J’espère pouvoir établir un dialogue avec cette ville." Qui sait, peut-être que ce premier spectacle est le début d’une belle histoire de famille…
Du 5 au 23 octobre
Au Théâtre Prospero (salle intime)
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