Trans-Atlantique : À bon port
Scène

Trans-Atlantique : À bon port

Le Trans-Atlantique de Spychalski donne un retentissant coup d’envoi à l’Automne Gombrowicz.

Ces jours-ci, dans la grande salle du Théâtre Prospero, une distribution exclusivement masculine se porte à la défense d’une des œuvres littéraires les plus originales du XXe siècle. Sous la direction soignée de Téo Spychalski, neuf comédiens déploient leurs énergies afin d’adapter à la scène Trans-Atlantique, un roman de l’homme de lettre polonais Witold Gombrowicz publié en 1952.

Traversant l’océan pour inaugurer un navire de plaisance, Gombrowicz est contraint de demeurer en Argentine en raison du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. L’artiste exilé, ou plutôt son double fictionnel, pose alors le pied dans une mésaventure qui se résume assez facilement: Gonzalo, un riche homosexuel argentin, place l’écrivain dans une position délicate en lui demandant d’intercéder en sa faveur auprès du père d’Ignace, le jeune Polonais dont il s’est épris.

Singulier, même lorsqu’on le compare au reste des écrits de l’intellectuel polonais, ce roman initiatique est porté par une langue absolument truculente. Bouleversant la syntaxe, l’auteur la fait paraître à la fois littéraire et proche de l’oralité. Téo Spychalski semble avoir compris qu’une parole aussi adroite mérite la sobriété. Devant la prose de son compatriote, le metteur en scène fait preuve d’une admirable confiance. Témoignant d’un respect assez scrupuleux envers la construction de l’œuvre, il concentre ses efforts sur une traduction scénique des pulsions animant les protagonistes de cette folle aventure. Ainsi, semblant obéir à une désopilante mazurka, les acteurs exécutent une savante chorégraphie de tics, sautillements et empoignades.

Prenant presque les traits de l’écrivain, Denis Gravereaux campe un Gombrowicz vigoureux et savoureusement grognon. Dévoilant ses états d’âme avec sincérité, exprimant avec finesse la perplexité dans laquelle il se trouve, le personnage éveille chez le spectateur une irrépressible empathie. Tout à fait à la hauteur de son partenaire de jeu, Marc Zammit se glisse avec savoir-faire dans la peau de Gonzalo. Le comédien – dont l’androgynie évoque la mythique Dalida – use de sa voix profonde et de sa présence tragique pour composer une créature extravagante et concupiscente. Trop monolithique, le père de Gabriel Arcand n’impressionne pas beaucoup plus que le fils campé par Philippe Cyr. En contrepartie, les rôles tenus par Bernard Carez et Georges Molnar sont pour beaucoup dans la réussite de ce spectacle. Tonitruantes et colorées, leurs prestations figurent parmi les plus opérantes de la soirée. En guise de décor, les éclairages de David Perreault Ninacs appuient ingénieusement les changements de lieux. Malheureusement, il en va bien autrement de ses projections, certaines allant même jusqu’à nuire à la bonne marche des tableaux.

Dégageant les enjeux du texte, laissant voir la trame absurde de l’existence, ce Trans-Atlantique démarre de très prometteuse manière les célébrations entourant le centenaire de la naissance de Gombrowicz.

Jusqu’au 16 octobre
Au Théâtre Prospero
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