Cycle Oreste : Au nom du père
La quatrième pièce du Cycle Oreste demande à Luce Pelletier de fouiller les côtés sombres d’Électre. Quand Freud rencontre Sophocle…
Après le Cycle Tchékhov, le Théâtre de l’Opsis décide en 2002 de créer une nouvelle boucle basée cette fois sur l’Orestie. Véritable exorcisme des passions pourtant longtemps justifié par la fatalité, le drame d’Oreste expose la nécessité d’un matricide. Après avoir exploré la fougue d’Oreste, Luce Pelletier s’attarde aujourd’hui aux motivations de sa sœur Électre.
"Je ne suis pas un ordre chronologique mais plutôt un ordre intuitif", explique la metteure en scène et directrice artistique de l’Opsis. Celle-ci nous présentait d’ailleurs dans La Sirène et le Harpon, l’année dernière, une Électre rationnelle au lendemain du drame. "Je tenais aussi à commencer par un texte classique qui pointait Oreste. Mais pour sa sœur, je ne voulais pas revenir au classique, même si le texte de Sophocle m’apparaissait la version la plus complète. Je suis alors tombée sur le magnifique texte d’Hugo von Hofmannsthal, un auteur viennois du début du siècle dernier qui a fait une relecture de Sophocle tout en s’inspirant des lectures de Freud. On se retrouve donc devant une Électre perturbée qui attend l’arrivée de son frère Oreste pour venger son père." Une Électre qui sera jouée par Suzanne Clément pour la deuxième fois sous la direction de Luce Pelletier.
De toutes les versions du drame d’Électre (d’ailleurs rassemblées dans le Électre-Élektra d’Alice Ronfard il y a quelques années), Luce Pelletier a donc choisi celle qui en explore l’humanité. "On y sent beaucoup la présence de la psychanalyse. Clytemnestre rêve de façon troublante à son fils, on retrouvera aussi le syndrome d’Électre, ce sacrifice de la sexualité pour le père." La fascination de Freud pour le trouble typiquement féminin l’amènera d’ailleurs à inventer le concept d’hystérie. "Les personnages féminins sont plus complexes, c’est évident. Oreste apparaît très petit à côté de la détermination d’Électre. On sent qu’il pourrait craquer, qu’il a peur de flancher s’il croise les yeux de sa mère."
SECRETS DE FAMILLE
Luce Pelletier se défend toutefois de faire d’Élektra quelque chose d’anecdotique. "Je ne voulais pas monter une tragédie antique, alors je ne l’ai pas fait. Mais le tragique demande un ton. Ça ne peut pas être réaliste, c’est plus grand que la vraie vie." Aucune référence à une époque ou à un lieu géographique précis ne viendra donc situer l’événement. "J’ai tenté de recréer un palais où l’on sent que les gens vont mal", se contente de dire Pelletier, en nous confiant toutefois s’être inspirée de la Vienne du début du siècle, celle qui a vu naître les théories de Freud, celle qui a bercé Hofmannsthal. "J’étais attirée par la démesure, par les positions des personnages et les atmosphères des toiles de Gustav Klimt ou d’Egon Schiele."
Le chœur classique gagne également en humanité ici. "Le chœur n’est pas à l’image de ce que l’on voit traditionnellement, ce groupe homogène représentant la voix de la cité, explique avec animation la metteure en scène. C’est plutôt la file à l’arrêt d’autobus. Un groupe de personnes individuellement différentes, mais qui peuvent être témoins d’un même événement. Le chœur participe surtout à créer un univers englobant, plus universel. Et puis, il ne fallait pas nuire à l’efficacité de la structure du texte, condensée, ne laissant pas de place à l’épanchement inutile."
Paradoxalement, le passé poétique d’Hofmannsthal en fera un dramaturge dont la portée langagière inspirera le livret de l’opéra de Strauss. "C’est effectivement un texte poétique, confirme Luce Pelletier, et le danger était de tomber dans la récitation du poème. Or ici, on parle d’une histoire où des gens ont des choses importantes à se dire. Il a donc fallu travailler à incarner le propos, trouver un ancrage dans l’action. Hofmannsthal a réussi à recréer la grandeur du mythe sans que l’on ne puisse jamais se reposer ou s’ennuyer un instant. Il fallait que je le suive là-dedans."
Après ces deux années d’exploration de l’Orestie, la directrice de l’Opsis avoue que la traversée se révèle plus marquante qu’elle ne l’aurait cru. "Je crois que cette pièce remettra en question les relations mère-fille, mère-fils, père-fille. Mais depuis le début, on a l’impression que le drame nous suit, les journaux prennent une tout autre couleur. Les drames familiaux font encore malheureusement les manchettes. Il y a des Électre qui existent encore…"
Du 14 octobre au 3 novembre
À l’Espace Go
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