L'Homme de la Mancha : Rêver mieux
Scène

L’Homme de la Mancha : Rêver mieux

Avec L’Homme de la Mancha, la comédie musicale retrouve ses lettres de noblesse.

Depuis sa création en 2002 par les Productions Libretto, L’Homme de la Mancha récolte sur son passage récompenses et acclamations. Elles sont nombreuses, les raisons qui expliquent le succès du spectacle. D’emblée, il faut souligner la brillante construction narrative dont l’œuvre fait preuve. Enchâssant l’histoire de Don Quichotte dans celle de Don Miguel de Cervantès (son auteur), le classique de Dale Wasserman (livret), Joe Darion (paroles) et Mitch Leigh (musique) offre une profondeur dramatique inhabituelle dans le créneau traditionnellement manichéen de la comédie musicale à l’américaine. Jamais les textes, magnifiquement traduits par Jacques Brel, ne tournent les coins ronds, ne bâclent une rime ou ne font passer un cliché pour une habile métaphore. Cette complexité, en plus d’accentuer la richesse de l’anecdote, ajoute à la charge émotive du spectacle. Réconforter l’âme en s’adressant à l’intelligence, voilà un tour de force que le chevalier à la triste figure accomplit à tout coup.

Bien que la pièce se défende d’elle-même, il faut rendre à César ce qui lui est dû et reconnaître à quel point la mise en scène de René Richard Cyr contribue à l’efficacité de la représentation. D’une simplicité souvent désarmante, elle mise sur une théâtralité minimale, une esthétique du dépouillement qui, en plus de convenir parfaitement aux exigences de la fiction, illustre de manière patente les avantages de la modération. Un virevent bombardé de lumière suffit à engendrer des moulins à vent, une armure à faire surgir un chevalier, des barreaux à délimiter les contours d’un cachot. À ce chapitre, la scénographie polyvalente de Réal Benoît entretient un superbe dialogue avec les clairs-obscurs percutants d’Étienne Boucher.

Évoluant sur un tréteau exigu, employant quelques judicieux accessoires (Normand Blais) et vêtements (François St-Aubin) en guise d’emblèmes, les 9 acteurs incarnent aisément les 30 personnages qu’engage cette aventure. Teintant leurs chants d’autant de nuances que leur jeu, ces comédiens démontrent des aptitudes incontestables pour un répertoire exigeant. La performance de Jean Maheux vaut à elle seule le déplacement. Jouant de ses trois visages avec une inexplicable agilité, l’interprète semble ne jamais perdre une once de son attention. Doté d’une voix qui puise à l’émotion pure, il expulse des notes chaudes et profondes qui ne peuvent laisser indifférent. À ses côtés, Sylvain Scott compose un Sancho Pança aussi bouffon qu’attendrissant et Éveline Gélinas, une Aldonza d’une déchirante authenticité. Alors que la rigueur de Stéphan Côté, Michelle Labonté, Roger La Rue et Sylvain Massé offre à l’entreprise tout son élan, Stéphane Brulotte et Catherine Vidal en donnent un peu plus encore. Ne reste qu’à souhaiter longue vie à ce spectacle qui a le mérite de rappeler la nécessité des idéaux, tout en redorant le blason d’un genre parfois incompris.