Serge Boucher : Bonbons mélangés
Scène

Serge Boucher : Bonbons mélangés

Serge Boucher s’inspire encore une fois de la famille pour nous offrir Les bonbons qui sauvent la vie, une pièce sur l’incapacité et l’impuissance. Rencontre avec l’auteur.

France a toujours été le mouton noir de sa famille. Elle a 35 ans et elle est maniacodépressive. Sa sœur Brigitte, elle, est parfaite. À la suite d’un drame, "une anecdote par rapport à tout ce qui est vécu dans la pièce", nous dit Serge Boucher, France se retrouve en prison. Là, elle reverra sa sœur qu’elle ne fréquentait plus du tout. Sa mère lui rendra également visite, et son père, juste avant la fin de sa peine, menaçant de la renier, viendra lui demander de marcher droit, de suivre la ligne.

"J’ai mis en scène une famille dont les membres ont une ligne de tracée, mais qu’un drame, soudainement, vient bouleverser. En fait, la ligne était déjà bouleversée avant le drame mais ils faisaient "comme si". Probablement qu’ils savaient, comme dans 24 poses (l’avant-dernière pièce de l’auteur), qu’un jour surviendrait quelque chose, parce que France, elle n’est pas mouton noir d’hier…" France, c’est le personnage que joue Maude Guérin, une actrice que l’auteur avait en tête au moment d’écrire la pièce. Une actrice qui l’avait merveilleusement bien servi dans Motel Hélène. Même chose pour le rôle du père, interprété par Michel Dumont qui, lui, jouait dans 24 poses. René Richard Cyr, le metteur en scène, n’en est pas non plus à sa première collaboration avec l’auteur né en 1963, qui, peu à peu, consciemment ou non, se construit une famille à mesure qu’il se construit une œuvre dont chaque pièce représente un morceau du casse-tête bouchérien…

TROUS DE MÉMOIRE

Avec Les bonbons qui sauvent la vie, Boucher a dessiné une famille de gens qui foncent et qui ont une idée précise de ce qu’est la vie. "Ils sont comme ça et c’est un peu ce qui en fait un constat très dur sur l’humain. Présentement, comme au moment où j’écrivais la pièce, je me dis que nous vivons dans un monde fou et je me demande comment on va arriver à réparer les choses. Est-ce que l’irréparable est réparable? C’est ça que ça soulève…" Serge Boucher se rappelle qu’autour des événements du 11 septembre, les gens répétaient que plus rien ne serait pareil, alors que lui ne pouvait s’empêcher de croire qu’on oublierait après quelques semaines, qu’on ferait comme avant. La pièce porte aussi sur l’indifférence.

"Au fond, ce sont des survivants, ces personnages-là. Je suis conscient qu’ils ne sont pas aimables, qu’ils sont dans les lieux communs, dans le golf et la Floride, mais j’admire leur force. J’admire le fait qu’ils se tiennent debout et qu’ils survivent à leur drame. Ce sont des gens qui ne peuvent pas s’écrouler, je ne sais pas pourquoi mais je le sais. Comme moi, Serge Boucher, je dis toujours que la vie continue malgré tout, avec ou sans nous. C’est là que, tout à coup, je les aime. Je les aime car ils doivent demeurer debout, peu importe le prix, peu importe ce qu’ils sont et peu importe comment ils se tiennent debout après ce qui vient de les bouleverser. Et seuls avec eux-mêmes, ils savent tous qu’ils peuvent peut-être réparer quelque chose. Ça, j’en suis convaincu même si ce n’est pas dit dans la pièce."

Autrement dit, ces personnages ne savent pas quoi faire du drame de l’autre, de sa détresse. Alors ils causent de lieux communs, et à travers cette communication d’ordre privé, transparaît un drame collectif. "C’est curieux parce que j’aurais bien aimé écrire une pièce gentille, ce serait mon désir le plus profond, mais j’en suis incapable. Mais cette pièce aurait pu être encore plus dure. La question soulevée par Les bonbons…, par rapport à mes autres pièces, est encore plus impitoyable: quel est le prix d’une vie humaine?"

Au Théâtre Jean-Duceppe
Du 27 octobre au 4 décembre
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