Circus minimus : Hors piste
Avec Circus minimus, Christian Bégin déstabilise les consciences.
Au cours des récentes semaines, Christian Bégin a maintes fois soutenu que la quintessence de l’art résidait dans sa capacité à traiter d’un sujet (par exemple une réalité sociale) sans l’aborder de front, sans en débattre nommément. Si on observe Circus minimus de ce point de vue, force est de constater que le premier texte de théâtre du comédien et humoriste de 41 ans tient du grand art.
Retranchés dans la roulotte que Stéban Sanfaçon et Julie Castonguay ont savamment éventrée pour les besoins de la cause, deux saltimbanques se préparent à présenter leur numéro pour la toute dernière fois. Après avoir passé 13 ans au service du même cirque décati, le clown et l’homme-canon s’apprêtent à exécuter le plus périlleux de tous les exploits: donner un nouveau sens à leur vie. Verbeuse, mais toujours cadencée, la partition de Bégin fait d’abord preuve d’un humour dévastateur. Soliloquant de manière pratiquement ininterrompue, le clown déverse sa rancœur stérile, fait entendre sa souveraine inaptitude à remédier à son sort. À ses côtés, témoin silencieux de ses colères, l’homme-canon subit. Graduellement, le rire se mâtine de gravité, la dérision tourne au tragique.
Parce qu’il illustre les terribles méfaits de l’inertie, ce couple constitue une métaphore implacable des remises en question que traversent actuellement les citoyens du monde. Dépendants l’un de l’autre, liés par un inextricable rapport amour-haine, les deux hommes entretiennent depuis des années un menaçant statu quo. Si le cynisme est obligatoirement de la partie, les choix de Dominic Champagne semblent vouloir entraîner le tandem vers la lumière. Instaurant un climat surréaliste au sein de la roulotte, la mise en scène insuffle ludisme et magie au quotidien morose des partenaires. Ainsi, les éclairages d’Alain Lortie et les compositions d’André Barnard et Ludovic Bonnier transforment l’endroit en une espèce de boîte à musique, un manège vétuste aux ampoules clignotantes qui tournerait inlassablement sur lui-même au son d’un orgue de Barbarie.
Dire que Bégin donne du mordant à son clown serait trop peu. Dans la peau d’un personnage qu’il a inventé, proférant sur scène un certain nombre de formules qu’il ne renierait sûrement pas dans la vie courante, le comédien parvient malgré tout à disparaître derrière sa créature. Si l’épreuve demeure courante pour un acteur, elle relève ici du tour de force. Plus discret, mais tout aussi efficace, Martin Drainville incarne un homme-canon pathétique et attendrissant. Retrouvant Champagne presque dix ans après Lolita, il fait la preuve de l’étendue considérable de son talent.
Que Christian Bégin se rassure: Circus minimus confirme qu’il mérite amplement son titre d’auteur dramatique. En défendant son clown en colère avec autant de conviction, le créateur accomplit un geste concret et inspirant afin de changer, à son échelle, le monde dans lequel il vit.
Jusqu’au 13 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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