Doldrum Bay : Sables mouvants
Scène

Doldrum Bay : Sables mouvants

Doldrum Bay : un douloureux constat de nos dérapages collectifs.

La brume se lève sur une plage d’après naufrage. Le temps a coulé comme du sable sur les valeurs d’un ancien monde, aujourd’hui presque englouti. C’est sur cette image que débute Doldrum Bay, la récente création de l’auteure irlandaise Hilary Fannin habilement mise en scène par Philippe Soldevila.

Véritable portrait générationnel, Doldrum Bay fait état du vide créé lors du rejet de la foi. Car si les personnages se disent maintenant libérés du joug de l’Église, ils demeurent prisonniers d’une quête de sens. Que reste-t-il comme bouée lorsque la candeur de la jeunesse se nécrose au fil des années et que l’on a appris à se tourner vers un Dieu qui n’existe pas?

C’est donc sur ce déchirement que repose la troublante pièce de Fannin, où un publiciste au sommet de sa carrière (Benoît Gouin) décide de laisser son emploi pour tenter d’écrire un roman. L’homme n’a pas de talent mais qu’importe, s’ajustant à la loi du marché, il réussira sans doute à en faire une très bonne promotion. Dans un monde où tout se vend, même l’oxygène dans les bars chics, l’art semble avoir perdu sa définition. La mort elle-même rôde, alors que la figure du père à l’agonie sonne presque le glas d’une force que l’on croyait indestructible. De la déchéance du contestataire à l’ingénuité presque niaise de la nouvelle génération, Fannin explore l’homme à travers toutes les pistes qu’il emprunte pour accéder au salut. On rit de bon cœur, un peu fort peut-être, surtout pour ne pas rire jaune.

C’est là où Soldevila réussit un coup de maître. Dans une scénographie envoûtante où les pianos sont des tombes, il parvient à transposer les propos de Fannin en images poétiques souvent frappantes (le sable coule à flots sur scène) alors que les dialogues jouissifs, traduits par François Létourneau, nous laissent à peine le temps d’être catastrophés. À l’image des personnages, nous sommes entraînés dans la danse de l’autodérision, parachute ouvert en plein vol. Et puis vient le fil d’arrivée, comme un point d’orgue. Redoutable.

Jusqu’au 27 novembre
Au Théâtre La Licorne
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