Médée-Matériau : Matière première
Médée-Matériau clôt avec brio le cycle Müller de Brigitte Haentjens.
Brigitte Haentjens referme un cycle consacré à Heiner Müller (1929-1995) avec une redoutable lecture de Médée-Matériau. Après Quartett (1996) et Hamlet-Machine (2000), cette nouvelle incursion confirme les affinités que partage le cruel et somptueux discours scénique de la directrice de Sibyllines avec l’univers complexe et lapidaire du dramaturge allemand. Véritable déploiement de sens, cette représentation constitue une grande réussite, tant du point de vue de son engagement esthétique que de sa portée politique.
Dans l’angoissante enclave imaginée par Anick La Bissonnière, sous les éclairages souvent glauques de Claude Cournoyer et dans les fascinantes ambiances sonores de Robert Normandeau, la figure de Médée se voit défendue par quatre femmes. Dans les habits carmin de Louis Hudon, les interprètes parviennent à restituer toute la démesure du personnage. Juvénile et masculine, Émilie Laforest offre aux complaintes de la barbare un timbre incantatoire qui bouleverse. Séduisante et vampirique, Annie Berthiaume fait entendre la rage contenue de l’infanticide. Dégageant une force tranquille, Mathilde Monnard donne un corps délié et rebelle à l’épouse abandonnée. Puisant aux nuances de l’extrême qui ont à juste titre nourri sa réputation, Sylvie Drapeau paraît en pleine possession de ses moyens, transcendante. Soutenant la parole de Médée, elle forme avec ses partenaires un quatuor balayant tout sur son passage. Refermant le spectacle, le monologue de Jason amalgame horreur et dérision. Gaétan Nadeau défend habilement le méprisable individu, un homme dont la soif de pouvoir se cristallise dans l’usage d’une futile télécommande.
Charge impitoyable contre la bêtise humaine, Médée-Matériau revisite de manière viscérale le destin paroxysmal de Médée. Investi de résonances plus graves encore que celles de l’infanticide, le personnage propose de notre époque une implacable radiographie. Abordant, en un même souffle, la guerre et la séduction, le pouvoir et l’érotisme, l’intime et le politique, le spectacle d’Haentjens plonge au tréfonds de l’œuvre, débitant une furieuse peinture des immortelles et dévastatrices affinités qu’entretiennent Éros et Thanatos.
Jusqu’au 6 novembre
À l’Usine C
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