Petits Crimes conjugaux : Manipulations conjugales
Dans Petits Crimes conjugaux, dernière pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, un couple joue à se faire mal et se tue à petit feu. Délibérations…
Les critiques de la pièce, qui a été créée en septembre dernier à Paris avec Charlotte Rampling en tête d’affiche, n’avaient pas été dithyrambiques: on jugeait que l’œuvre était faussement moraliste, donnant dans le prêchi-prêcha…
"En France, on a abordé le texte de la façon évidente… avec une approche de petit drame bourgeois: réaliste, dans un décor réaliste. Le texte ne m’était d’aucun intérêt sous cet angle-là", explique le metteur en scène Claude Guilmain, rencontré quelques jours avant la première. Comment donc a-t-il abordé le texte de l’auteur français? Guilmain invite Danielle Grégoire, celle qui incarne le personnage de Lisa, à répondre pour lui: "Claude n’aimait pas la fin, il avait de la misère à dealer avec, ça lui chicotait. Et plutôt que de l’enlever, il voulait faire en sorte qu’on la fasse quand même, mais selon nos paramètres…" Guilmain poursuit: "Il n’était pas question de couper quoi que ce soit, ça rendait le défi un peu plus intéressant… Je trouvais la fin trop rose bonbon… Schmitt a tendance à être moralisateur. C’est une belle fin, mais je la trouvais un peu sexiste. C’était cute, mais pour le rôle de la femme, ce n’était pas à son avantage, tel que c’était écrit…"
Petits Crimes conjugaux raconte l’histoire d’un couple: Gilles (Mario Borges) est devenu amnésique à la suite d’un accident. Sa femme (Danielle Grégoire) le ramène à la maison et tente de lui faire recouvrer la mémoire. S’en suivent déchirements, mensonges, vérités et autres petites drames de ménage. On décrit la pièce comme un suspense, mais Guilmain a encore une fois contourné les principes: "Le côté thriller passe en second. J’ai plutôt mis l’accent sur le fait d’établir la tension entre les deux personnages, qui sont à la recherche d’une certaine vérité". Sur la corde raide, les comédiens ne doivent pas être trop transparents. C’est d’autant plus un défi pour Danielle Grégoire, qu’on a vu dans des rôles plus volubiles dans À la recherche d’Elvis et 9 Mois: "C’est très stratégique; c’est comme un gros plan tout le temps, c’est-à-dire que tu dois être sur tes gardes d’un bout à l’autre. C’est stressant parce que ça a une telle densité! Même un clignement d’yeux peut m’affaiblir!"
"Je vois la pièce comme étant les 85 dernières minutes de leur relation de couple. Ça se joue à ce niveau-là de tension où un mot d’un côté ou de l’autre peut faire tout basculer, ajoute Guilmain. Parce que chaque personne qui a vécu une rupture amoureuse sait que quand tu es rendu à ce point-là, tu peux dire n’importe quoi et ça peut être mal interprété."
PETITS CRIMES
Dans un huis clos au décor dépouillé, différents problèmes refont donc surface, comme celui de l’adultère, des non-dits alors que d’autres problèmes s’installent, comme celui de l’alcool. "La retenue de mon personnage me fait penser à une mère devant son enfant blessé qui se retient de ne pas faiblir devant lui. Elle doit être forte en surface, et en dedans, c’est la tempête! Cette façon de jouer est très intéressante parce que c’est fragile, mais très fort en même temps, parce qu’on a l’acuité sensorielle dans ce temps-là", explique Danielle Grégoire.
Dans sa réflexion, elle ajoute: "Il y a quelques jours, j’ai constaté que j’avais toujours l’impression d’être à côté de moi dans ce rôle et ça me fatiguait. Mais j’ai réalisé que c’est comme ça qu’il faut que je fasse. C’est ce détachement que je dois utiliser pour le personnage: je suis impliquée, j’écoute, j’entends, mais je ne suis pas touchée par rien". Comportement qui ne pourra être compris qu’à la toute fin avec le dénouement qui est laissé à l’interprétation du public.
Ainsi, Claude Guilmain n’est pas du genre à créer des pièces de pur divertissement, il souhaite que le spectateur s’investisse le plus possible.
"Le spectateur va pourvoir amener sa propre explication, ce n’est pas du tout cuit. Je pense que les gens vont soit aimer avoir à se poser ces questions, soit totalement haïr ça. (…) Je crois que le théâtre est rendu paresseux à ce niveau-là. Et c’est pourtant sa fonction. La télé fait très bien dans le tout cuit; le théâtre doit laisser la place à l’interprétation. Les gens s’attendent à quelque chose, moi, je veux aller dans le sens inverse", conclut-il.
Du 9 au 20 novembre
À la Nouvelle Scène
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