Pol Pelletier : Voix d'extinction
Scène

Pol Pelletier : Voix d’extinction

Après cinq ans d’absence, Pol Pelletier nous revient avec Nicole, c’est moi…, un "spectacle d’adieux" retraçant les femmes oubliées au cours de l’histoire.

Personne ne niera que la situation actuelle dérape dangereusement, et ce, à tous les points de vue. Mais lorsque ce sont nos grandes figures de bataille qui capitulent, force est de constater la gravité du naufrage. Pol Pelletier revient de loin pour présenter, à l’Espace Go, un spectacle comme elle sait le faire, avec sa parole comme une lampée de lumière.

Création basée sur des histoires d’adieux, Nicole, c’est moi… annonce également la rupture de la femme de théâtre avec un monde qu’elle a tant chéri. "Ça a à voir avec mon identité, la façon dont j’ai vécu ma vie d’artiste avant, souffle-t-elle. C’est un rite de passage. Je le savais durant les dernières années, je me disais que cette humiliation devait cesser. Devoir quémander, "s’il vous plaît, pourriez-vous me permettre de faire une petite production l’année prochaine?", c’était me manquer de respect à moi-même. Mais il règne une paranoïa dans le milieu théâtral qui valide ce système. Un système qui nous demande d’être des fonctionnaires, de comprendre la langue de bois, de devenir des administrateurs qui manient les chiffres. J’ai passé des années sans créer, à seulement monter des dossiers, mais je n’ai pas fait les Hautes Études commerciales. À l’époque, on ne pensait jamais aux subventions, on faisait du théâtre parce qu’il y avait quelque chose d’irrésolu en nous", rappelle Pol Pelletier, visiblement catastrophée. "Alors il faut que Pol Pelletier meure. Moi qui étais une grande révoltée, j’étais devenue une complice, une fonctionnaire de l’État. Et ici comme ailleurs, on n’est pas reconnu comme artiste si on ne demande pas des subventions. Arrêter, c’est donc signer mon arrêt de mort. Et puis de toute façon, tout s’est écroulé, et ma santé avec. Je ne donnerai plus mon âme pour un idéalisme qui n’est pas soutenu par la société. C’est fini."

C’est donc l’annulation d’un spectacle qui a permis l’insertion de Nicole, c’est moi…, de façon presque miraculeuse, au sein même de l’espace né du Théâtre Expérimental des Femmes. "Les femmes, c’est un sujet qui n’intéresse personne, alors moi je récolte tout sur elles, poursuit doucement Pol Pelletier. Et je me suis tue trop longtemps. Certes, au début, nous avons crié. Nous nous sommes fait peur, nous avons culpabilisé. Et on a tué nos filles…", explique douloureusement celle qui reste marquée par le drame de la Polytechnique en 1989. "Il y a beaucoup de femmes dont la disparition a été banalisée au Québec et il y a quelque chose dans l’inconscient collectif qui favorise ces oublis. Tout comme il y a eu ici l’un des mouvements féministes les plus forts au monde, mouvement que j’ai vécu, et on ne peut que constater que nous les femmes sommes incapables de prendre notre place. Nous n’y arrivons jamais. Même la Révolution française, avec ses décennies de violence, n’a pas réussi à instaurer la notion d’égalité. Les femmes sont esclaves dans la plupart des pays du monde. La femme est celle qui est "moins". Alors mon spectacle tente de comprendre pourquoi, tout en disant adieu à des femmes oubliées."

Durant ces cinq années d’absence, Pol Pelletier aura fait plusieurs découvertes. Et c’est en frôlant la mort qu’elle aura compris qu’elle avait encore une parole vivante. "L’incapacité de la femme à prendre sa place est l’une des grandes obsessions de ma vie, et je crois que partir en Inde, comme faire de la recherche, c’était un peu fuir ce constat. Je ne veux plus convaincre les autres comme je l’ai toujours fait, je ne veux juste pas mourir sans avoir posé cette question-là: pourquoi on disparaît?"

Du 10 au 20 novembre
À l’Espace Go
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