Le Procès : Prendre au mot
Scène

Le Procès : Prendre au mot

Le Procès mis en scène par François Girard et adapté par le romancier Serge Lamothe fait honneur à Kafka.

Un matin, à cinq heures, K. se fait réveiller par deux représentants de la loi. A priori, cet employé de banque n’a rien fait de mal. Il se pense même victime d’une plaisanterie, pour ensuite croire qu’on en veut à son argent. Pourquoi lui inflige-t-on ce cauchemar s’il n’est vraiment pas coupable? "D’un autre côté, ça ne peut pas être bien grave. Je suis incapable de me souvenir d’un crime que j’aurais commis. Un crime? rétorque l’inspecteur… Vous avez parlé d’un crime… que vous auriez commis…" Et les dialogues tordus se poursuivent ainsi jusqu’à ce qu’un verdict de culpabilité soit rendu et que la mort s’ensuive. Ainsi allait le roman, ainsi va la pièce.

Le génie de cette adaptation du Procès réside justement dans le respect et la compréhension du texte. Si Lamothe et Girard ont choisi l’ordre que Max Brod (l’ami de Kafka qui a rendu public ce roman inachevé et laissé sans indications précises quant à la chronologie des chapitres) avait établi comme une évidence, ils ont aussi évité de théâtraliser le roman et d’imposer un crescendo peu subtil. Il aurait été tentant de surligner l’aspect paranoïaque pour augmenter les effets dramatiques et nourrir le suspense, mais non. On n’a pas transformé le roman en pièce, on a plutôt choisi de le rendre avec humilité. On ne sent aucune volonté de la part des artisans de démontrer une lecture singulière de l’œuvre; on présente le génie de Kafka en essayant d’en sacrifier le moins possible et en faisant confiance aux spectateurs.

Les côtés ludiques de l’écriture du romancier tchèque germanophone sont bien rendus. Avec les "scènes d’amour" qui ont lieu sans préliminaires à des endroits aussi incongrus qu’à des moments inopportuns, on remarque rapidement qu’il est ici plus facile de baiser que de communiquer, plus acceptable de se soumettre à ses instincts que de se remettre en question. Aussi, l’ambiance que l’on retrouve est très fidèle au climat d’insécurité et d’étrangeté que l’on retrouve dans le roman. Le dépouillement de la scène aux premiers chapitres, l’accumulation des meubles et des gens qui rend le sentiment de confusion de plus en plus grand: tout ça place la notion de justice et de culpabilité dans une position des plus ambiguës. Une immense horloge rythme le tout comme si le temps, finalement, sanctionnait de toute façon.

Dans ce décor magnifique (signé François Séguin), l’éclairage donne le ton autant que les bruits ambiants et le chœur. Composé de huit personnes, ce chœur forme une masse inquiétante qui semble autant observer que juger, comme elle paraît ignorante des véritables enjeux et qu’elle participe à la fois à ce qui conduit à une condamnation. La masse participe à la rumeur, au murmure, à l’inconscient collectif qui tue. Les comédiens sont justes; soulignons l’apport de Normand Chouinard (dans la peau de quatre personnages), celui de Pierre Lebeau, à l’aise dans le rôle de l’inspecteur "méchant" et dans celui du juge farfelu, et finalement, celui d’Alexis Martin, qui porte avec succès la complexité de K.

Jusqu’au 4 décembre
Au Théâtre du Nouveau Monde

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