Lentement la beauté avec Michel Nadeau : Communauté urbaine
Michel Nadeau, le metteur en scène et l’un des auteurs de Lentement la beauté, s’entretient avec nous de la pièce récipiendaire du Masque "Meilleure production Québec" en 2003.
Dans le programme, le metteur en scène rapporte cette anecdote véridique au sujet d’un homme de l’Abitibi, dans la quarantaine, qui n’avait jamais vu de pièce de théâtre de sa vie. Un jour, quelqu’un l’amène voir un spectacle à la fine pointe de l’avant-garde et, on ne sait trop pourquoi, ce fut un véritable choc. Peut-être que l’homme était enfin disponible au bouleversement, peut-être aussi qu’il ne s’était tout simplement jamais donné la peine de goûter à quoi que ce soit d’artistique, mais bon, si on ne connaît pas la suite, on sait pourtant que ce soir-là, il a plus qu’apprécié.
"L’un des éléments de départ était cette idée d’un homme au mitan de sa vie, explique Michel Nadeau, un homme qui a une sorte de vitesse de croisière, pour qui les choses sont pas mal placées: sa carrière est là, il a grimpé jusqu’à un certain niveau et ça va rester comme ça pour les 15, 20 prochaines années. Puis tout à coup, la vie a un peu moins de sel car il n’est plus dans la bataille pour faire sa place. Devant ce genre de limbes, il y a une espèce de malaise car la prochaine étape, ce sera la retraite! On a là un homme disponible au questionnement des Trois Sœurs…"
Lentement la beauté, c’est donc l’histoire d’un homme bien ancré dans sa routine quotidienne, et qui se remet totalement en question à la suite d’une représentation des Trois Sœurs de Tchekhov, cette célèbre pièce autour de trois sœurs vivant dans un petit village de province, en Russie, et dont l’existence monotone et l’incapacité à changer le réel les poussent à rêver de Moscou, comme leur seul espoir. C’est donc en partie la capacité du théâtre à toucher les gens, à ouvrir des voies, à changer des vies qui a influencé le cours de la pièce écrite collectivement. "Voilà la chose qui me touche le plus; c’est la raison pour laquelle je fais ce métier, et non pour rédiger des demandes de subventions et oublier l’essentiel. J’avais donc envie d’écrire sur ça, et de parler de l’importance de l’art en général."
LE POIDS DU NOMBRE
L’art en général, on peut dire qu’il en prend un dur coup depuis quelques années. "Dans ce monde où les cours d’art dans les écoles risquent de tomber, où l’on est dans le divertissement à tout prix et que l’art dans tout ça se fait de plus en plus grugé, je trouvais important de traiter du sujet. Et on s’est vite rendu compte, en présentant le spectacle, qu’on touchait à la réalité de plusieurs personnes." Michel Nadeau est originaire de Lac-Etchemin et il a étudié à Lévis; l’accessibilité de l’art et les difficultés que rencontrent les artisans des arts de la scène hors Montréal, il connaît. "Évidemment, sur le plan de la diffusion nationale, ce qui se fait à Québec fait moins de bruit que ce qui se fait à Montréal, car l’impact médiatique est moins fort. D’ailleurs, quand Serge Denoncourt est arrivé au Trident, l’un de ses premiers chocs fut de voir qu’il est difficile de créer un événement avec une pièce de théâtre dans la capitale. Difficile aussi de faire circuler les spectacles… Il y a peu de diffuseurs pour prendre le relais des pièces créées à Québec."
Mais l’une des particularités du théâtre à Québec, c’est que le milieu est jeune et dynamique (plusieurs s’en vont dès la trentaine, à la télé ou ailleurs pour gagner leur vie), qu’il n’y a pas de chapelle mais beaucoup d’entraide (ils proviennent presque tous de la même école). Aussi, l’écriture collective de cette pièce s’est faite de manière très naturelle – y ont aussi participé Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Hugues Frenette, Pierre-François Legendre, Véronika Makdissi-Warren et Jack Robitaille.
Au début, la troupe est partie d’une nouvelle écrite collectivement, chacun faisant son bout à la suite de l’autre, et puis ils ont improvisé autour de ça. "Lorraine et moi sommes sortis du Conservatoire de Québec en 1980 et l’écriture collective était encore en vogue à cette époque-là. On en a aussi connu la fin car il y avait beaucoup de tensions et de chicanes dans ces entreprises, qui finalement n’étaient pas toujours concluantes. Ensuite, les auteurs ont pris plus de place et nous aussi, au Théâtre Niveau Parking, on a fait appel à des auteurs. Mais en 1999, on s’est dit qu’on essaierait de faire une création collective, mais cette fois avec des gens de différentes générations. Et tout s’est fait dans le respect et l’écoute, avec en tête ce qui est bon pour le spectacle et non pour l’ego. Ça a tellement bien marché que nous sommes déjà en train de penser au prochain spectacle collectif…"
Du 30 novembre au 18 décembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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