Lentement la beauté : Éveil des consciences
Scène

Lentement la beauté : Éveil des consciences

Lentement la beauté, récipiendaire du Masque de la meilleure production Québec 2003, est une pièce collective charmante et drôle, mais saisissante, sur le combat contre l’ennui.

Un homme de 48 ans, occupant une place importante dans une petite société, gagne des billets pour aller voir la pièce de Tchekhov Les Trois Sœurs. Il n’est pas un amateur de théâtre mais il a horreur du gaspillage, donc il ira. Et il y retournera, encore et encore. Il achètera même le livre, qu’il lira, et relira. Quelque chose s’est passé, un rendez-vous a eu lieu. Lentement la beauté, c’est une pièce sur le bouleversement des sens à la suite d’une expérience artistique, c’est une illustration de l’éveil à l’art.

C’est Jack Robitaille qui incarne, de manière touchante, M. L’Homme. Jusqu’à sa rencontre avec le théâtre, ce monsieur complet-cravate menait une existence sans relief et, surtout, sans remise en question. Il travaille depuis la fin de ses études dans une entreprise qu’il a choisie, il possède une maison ("finie de payer") qu’il a fait rénover à son goût, il a deux enfants en santé dont une fille qui accomplit de brillantes études en langues, et sa femme est une agente immobilière fort occupée. Bref, tout va bien. Tellement bien qu’il est maintenant disponible au choc, à l’expérimentation, à l’ouverture et à l’écoute.

Lentement la beauté, écrit collectivement par le metteur en scène Michel Nadeau et par les comédiens de la pièce, Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Hugues Frenette, Pierre-François Legendre, Véronika Makdissi-Warren et Jack Robitaille, a d’abord pris la forme d’une longue nouvelle (qui a d’ailleurs été publiée aux éditions de L’instant même en 2004) qui, au fil des improvisations, s’est efficacement transformée en objet théâtral. Le texte est beau, très beau, et même si on sent les influences de chaque génération participant à son élaboration, le résultat est cohérent et réussi. Il y a bien quelques longueurs et quelques écarts où le spectateur habitué verra que la troupe a eu du mal à faire les sacrifices nécessaires à la construction d’un rythme infaillible, mais chaque épisode connaît sa part de répliques savoureuses et d’instants de magie. Car en plus de dire des choses pas si banales, le spectacle propose également une chorégraphie des gestes journaliers, un alignement, sous un angle esthétique et révélateur, de bavardages vides auxquels la plupart d’entre nous font face ou participent quotidiennement.

Ici, on juge un peu, c’est vrai. Mais on aime ceux qu’on juge et, surtout, on croit au changement, à l’évolution de ceux qu’on juge, de nous-mêmes. Le regard du texte est propulsé par les jeux de regards de la mise en scène. Les existentialistes mettaient des miroirs dans leurs pièces; ici on a des fenêtres et des portes, et derrière elles, d’autres regards, d’autres angles, d’autres horizons. On peut se mirer dans une fenêtre, mais la part d’ouverture est plus importante. Si M. L’Homme s’est un peu projeté dans Les Trois Sœurs, il s’est surtout ouvert. Une bonne pièce.

Jusqu’au 18 décembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui

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