Nicht retour, mademoiselle : Tout sur ma mère
Scène

Nicht retour, mademoiselle : Tout sur ma mère

Nicht retour, mademoiselle observe l’Histoire par le prisme d’une troublante relation mère-fils.

Une suave nostalgie, voilà ce qui nimbe Nicht retour, mademoiselle, la deuxième création du talentueux tandem formé par Daniel Brière et Evelyne de la Chenelière. Sur une scène presque vide, coincé entre deux sections de gradins se faisant face, un homme s’apprête à remonter le temps, à renouer avec ses origines. Pour faire resurgir le passé, il dispose de sons, d’images et d’objets, des artefacts précieux mais jamais aussi déterminants que la grande inventivité avec laquelle il manipule les faits.

Homme d’affaires états-unien, Emmanuel (Brière) retrace sous nos yeux le fil des événements, orchestre les moindres mouvements de son histoire. D’emblée, il aborde sa fascination pour l’Amérique, celle-là même qui, dans les années 60, le fit quitter sa France natale pour goûter aux promesses de l’oncle Sam. Très tôt dans son récit, la figure complexe de la mère (de la Chenelière) apparaît. Une femme qui semble inspirer au fils autant d’amour que de crainte, autant d’indulgence que d’inquiétude. Aristocrate assaillie de désirs, contrainte par son époque, sa société et son milieu, elle nourrit de tels espoirs pour son enfant qu’elle finit en quelque sorte par l’inciter à traverser l’océan. Après que le fils eut donné sa version des faits, la mère paraît acquérir une certaine autonomie narrative, une souveraineté qui la révèle dans toutes ses contradictions. Qu’il soit question du grand amour qu’elle a frôlé, du rôle maternel qu’elle n’a jamais pu assumer pleinement ou encore de la carrière littéraire à laquelle elle aspirait secrètement, cette femme a beaucoup à dire.

Sans rompre véritablement avec le ton qu’elle a instauré jusqu’ici, savant mélange d’humour, de tendresse et de vague à l’âme, de la Chenelière explore néanmoins des registres qui lui sont moins habituels. Du dialogue de sourds aux échanges épistolaires, en passant par une savoureuse parodie d’opérette, le texte tisse avec doigté les plus diverses tonalités, fait habilement se télescoper les époques et les niveaux de langue. Épousant les audaces de la narration, Daniel Brière exerce ici encore sa grande créativité. En s’appuyant sur les réalisations du scénographe Jonas Veroff Bouchard, le metteur en scène démontre son sens inné de l’espace et des accessoires – des talents qui avaient atteint un point culminant dans Tavernes l’année dernière. Son savoir-faire dote les objets d’une portée métaphorique qui opère à tout coup, déclenchant aussi bien le rire que l’attendrissement. Il faut également souligner le grand plaisir que suscite le jeu des deux acteurs. Brière excelle à traduire la dérision d’Emmanuel adulte, mais surtout la candeur et la vivacité de son personnage enfant. Tout en nuances, très engagée dans son rôle de mère, de la Chenelière nous fait espérer de plus fréquentes apparitions sous les projecteurs. Puisqu’il est ici question de liens familiaux, sachez que les vendredis et samedis soirs, le couple est rejoint sur scène par sa progéniture.

Jusqu’au 18 décembre
À Espace Libre

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