Revue théâtre : Florilège
Scène

Revue théâtre : Florilège

Une année de théâtre, c’est un kaléidoscope, un foisonnement d’histoires, de personnages, d’images, et autant de preuves du talent d’artistes qui nous touchent, nous bousculent, nous font  rire.

Pour des raisons diverses, certaines pièces atteignent la niche toute chaude des favorites. En voici quelques-unes.

Mon spectacle préféré de l’année 2004? Vie et mort du Roi boiteux, par le Théâtre des Fonds de Tiroirs. D’abord, pour l’audace du projet: cette œuvre mythique signée Jean-Pierre Ronfard, spectacle de 15 heures à l’origine, ramené à 8 heures par le TFT, avait de quoi faire frémir, avec ses six parties, sa multitude de personnages. À preuve: personne, depuis sa création en 1981, n’avait repris la pièce relatant la lutte de deux familles ennemies pour le pouvoir, d’une ruelle de Montréal à l’Azerbaïdjan. Frédéric Dubois et sa bande ont osé; et avec quel succès! Comédiens et concepteurs ont porté avec fougue et enthousiasme la folie de l’entreprise, mettant toute leur énergie au service de cette histoire à la fois grande et petite, entre quotidien et poésie, jeu et réalité. L’interprétation pleine d’imagination et de talent, le caractère inventif de la mise en scène et de la scénographie, exploitant avec bonheur les contraintes et particularités de la cour extérieure où prenait place la représentation, donnaient à la pièce un caractère ludique, une fraîcheur, une vivacité de tous les instants. Pour la richesse de ce moment unique, pour l’aventure inusitée dans laquelle s’est embarquée – et les spectateurs avec elle! – toute l’équipe, pour la beauté de la fête: chapeau!

En deuxième position, la reprise du spectacle d’Anne-Marie Olivier, Gros et Détail, dans une version un peu allongée, et enrichie sur le plan scénographique. Observatrice sensible, lucide et pleine d’humour, conteuse captivante, espiègle et imaginative, l’artiste y a montré ses talents d’auteure et d’interprète en incarnant pour nous, dans une série de contes se déroulant dans Saint-Roch et aux alentours, divers personnages. Relatant avec chaleur la quête de ces individus anonymes, elles en fait des figures attachantes, admirables, bouleversantes. Évoluant sur une scène jonchée de détritus blancs comme neige, où tout se transforme, secondée par sa talentueuse équipe de mise en scène et de conception, Anne-Marie Olivier a poussé plus loin encore les qualités que comportait déjà son spectacle lors de sa création, à l’automne 2003. En résulte un bijou d’humanité, de poésie, de tendresse: un baume pour le cœur.

Troisième choix: Aux portes du royaume, pièce de Knut Hamsun mise en scène par Claude Poissant. Par une lecture fine, transmise autant par le jeu très juste des comédiens que par la transformation graduelle des divers éléments de la représentation (décor, éclairage, musique, notamment), le metteur en scène a montré le parcours du personnage central, la descente et l’isolement progressif d’Ivar Kareno. Philosophe aux idées d’extrême droite difficiles à défendre, Kareno s’entête dans ses théories, refuse l’aide de son entourage, se coupant du monde – de son meilleur ami, de son épouse, qu’il aime pourtant. Dans ce rôle, un Hugues Frenette impressionnant: mélange d’entêtement aveugle et de vulnérabilité, d’idéalisme forcené et d’inconscience. Prestation touchante, donc, du comédien, qui parvenait, malgré les idées repoussantes de son personnage, à le rendre attachant. Spectacle très beau, troublant, plein de mystère.

Parmi plusieurs pièces fort intéressantes présentées en mai lors du Carrefour international de théâtre, retenons une production de Québec: Les Cercueils de zinc. Texte mis en scène et adapté par Antoine Laprise à partir d’une enquête menée par Svetlana Alexievitch, cette pièce, interprétée par les finissants 2004 du Conservatoire d’art dramatique de Québec, si elle n’était pas parfaite sur le plan du jeu, recelait une force puissante. "Théâtre documentaire" fait de brefs tableaux où des soldats, infirmières, survivants, mères ou veuves, témoignent de leur expérience lors de la guerre d’Afghanistan ou de ses suites, la pièce était profondément bouleversante, donnant une preuve supplémentaire – si besoin en était – de l’horreur de la guerre. Et ce, d’une façon particulièrement percutante: interprétation intense, mise en scène sobre et surtout, présentation, sans aucun commentaire, de la guerre du point de vue de ceux qui en souffrent par des témoignages vrais, vivants, d’êtres réels. Espérons que cette pièce sera reprise en saison régulière, pour qu’un plus grand nombre puisse assister à cette dénonciation vibrante, dont on sort secoué.