Gertrude – Le Cri : Femme fatale
L’Espace Go présente Gertrude – Le Cri de Howard Barker, une variation sur Hamlet ayant pour personnage central une reine plus lascive et charnelle que jamais. Anne-Marie Cadieux revêt le fourreau de cette femme insaisissable.
La filiation n’est pas étonnante. Anne-Marie Cadieux porte les femmes tragiques, de Sophocle à Müller, comme une seconde nature. Dans la poursuite des "Portraits de femmes" annoncés par Ginette Noiseux, la comédienne incarnera la sulfureuse mère d’Hamlet dans un objet théâtral signé Serge Denoncourt.
"Je ne suis pas quelqu’un qui planifie ses rôles, je choisis plutôt à l’instinct", insiste la comédienne qui a elle-même proposé le texte à l’équipe après en avoir fait la lecture. "J’aimais l’idée de jouer un auteur contemporain encore méconnu ici. Et je trouvais très intéressant de déconstruire l’histoire d’Hamlet pour la reconstruire autour du personnage de la mère." Howard Barker s’attarde donc à la femme derrière le drame. "Dans le texte de Shakespeare, la reine Gertrude reste un mystère, on ne sait pas trop ce qu’elle s’avoue à elle-même et elle semble hantée par ses regrets. Ici, il y a un choix très clair. Barker a créé un personnage féminin sans culpabilité, ce qui est très rare. Elle et son amant Claudius tuent le roi et font l’amour sur son cadavre." C’est d’ailleurs ce qui provoquera l’énigmatique cri de Gertrude. "Est-ce un cri de jouissance? De douleur? Le cri de la mort? On ne sait pas. Mais tous chercheront la source de ce cri. La reine deviendra alors l’instrument de ce cri que tous chercheront à refaire surgir."
Alors qu’Hamlet fera ici figure de moraliste impubère, Gertrude régnera sur un monde où s’empilent les morts. Femme calculatrice ou tout simplement habilement manipulée par les autres? "Ce personnage demeure longtemps insaisissable parce qu’il est possible de le voir sous plusieurs angles, explique Cadieux. Cette femme est-elle un monstre? Ou simplement emportée par ses désirs? Avec Barker, il y a rarement de bonnes réponses ou de jugements moraux. Gertrude apparaît avant tout comme une survivante. Elle reste celle qui se lève à la fin sur un monde en ruine, sur une montagne de cadavres. Je crois qu’elle est porteuse de mort malgré elle, et elle verra tout le royaume périr à cause de sa passion."
Barker ne se contente pas de centrer l’action autour de la reine mère, il intègre également de nouveaux personnages au mythe. La reine quittera ainsi le lieu du massacre avec un nouvel amant. Ce rejet de la maternité pour satisfaire une sexualité exacerbée sera d’ailleurs un élément-clé de la révolte du fils. "Une femme de 43 ans sexuée, enceinte et qui suscite la fascination chez tous les hommes, c’est aussi quelque chose que l’on voit rarement, souligne Anne-Marie Cadieux, visiblement ravie. Dans cette pièce, le personnage de la mère est le plus sexué de tous! Et la fertilité de la femme est une menace autant qu’un objet de vénération. Autant c’est de la femme que jaillit le cri, autant c’est elle qui donne la vie… et la mort. On retrouve presque un certain fétichisme chez certains personnages face à elle. Mais le tout reste très subversif, la pièce explore les extrêmes de sa sexualité mortifère. Cette femme enfantera sur le cadavre de son mari."
La comédienne, dirigée pour la première fois par Serge Denoncourt, laisse entrevoir une mise en scène très signée. En effet, le metteur en scène qui nous a présenté l’année dernière une version d’Oreste plutôt animée semble vouloir colorer ici la tragédie. Sous le faste des années 50, la reine sera en Dior. "Serge magnifie l’érotisme de la reine à travers plusieurs images typées. Nous nous retrouvons dans un univers de brillance et d’apparat, ce qui contribue à créer une ambiance qui est tout sauf réconfortante, commente Cadieux, le sourire en coin. Il en fait une tragicomédie grinçante et y ajoute de l’humour noir. La famille est certes décadente mais elle le sera dans plusieurs styles juxtaposés, parfois humoristiques et parfois plus émotifs. La virtuosité que demande le texte nous envoie aussi dans ce genre d’esthétisme formel."
Dirigée par un nouveau metteur en scène, Anne-Marie Cadieux s’approprie de surcroît la langue de Barker pour la première fois. "C’est une langue poétique qui porte une musicalité étonnante. Mais il est surtout stimulant comme interprète de présenter une pièce qui n’a pas été vue et revue. La matière nous apparaît neuve et vierge. Tout est à faire."
Du 11 janvier au 12 février
À l’Espace Go
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