Figure : Points de fuite
Dans Figure de Pierre Charras, Denis Lavant démontre qu’entrer dans l’atelier de Francis Bacon, ça ne laisse pas indifférent…
Soudain, une phrase nous attrape, nous captive. Nous n’écoutons plus le reste, nous abandonnant dans la matière d’une phrase et devenant créateurs à notre tour. Nous ne sommes plus spectateurs, mais peintres, écrivains, poètes, philosophes, penseurs ou théoriciens de la peinture. Tout ça. Nous voilà emballés, emportés, mais nous avons échappé des phrases, nous avons perdu le fil. Voilà la beauté et un peu le danger de cette pièce qui contient tant de matière. C’est que nous sommes plus habitués à lire le propos sur la peinture qu’à le recevoir ainsi, en pleine gueule, comme un cri, comme une évidence qui frappe et court au prochain questionnement.
La pièce comme image est saisissante. Les comédiens sont parfaits et Denis Lavant, comme souvent, est renversant. La mise en scène de Lukas Hemleb est brillante; le texte de Pierre Charras, bien fignolé, concis et éclairant. Mais comment peut-on recevoir Bacon et Lavant en même temps sans être sonné, sans avoir besoin de recul, d’un temps de réflexion? La charge est forte et la matière, dense.
Pierre Charras a écrit Figure d’après son livre Le Ring de la douleur et d’après les Entretiens de Francis Bacon avec Michel Archimbaud. Lavant, lui, a puisé dans divers documents, dont des documentaires, pour créer un personnage au-delà du mythe Bacon. Car la pièce, c’est ça, un propos sur la peinture, des fragments de la vie de Bacon, de l’alcool, des amours déchues, un regard acerbe sur la filiation, des bras d’honneur à l’institution. Elle montre aussi un besoin de reconnaissance, d’amour et d’amitié. La pièce est un casse-tête où éclatent des émotions et des théories en même temps qu’elle rassemble, reconstitue un peu de Lavant, de Charras, d’Archimbaud et beaucoup de Francis Bacon, de ce qu’on en a saisi, retenu.
Nous sommes dans l’atelier du peintre comme dans un laboratoire d’expérimentations. Nous sommes là, dans son intimité, à voir ses doutes qui traînent ou qui le confrontent, à voir des certitudes qui se dessinent, à lire une peine, une souffrance, et à reconnaître quelqu’un d’instinctif et de savant, confiné malgré lui dans l’idée qu’on a de cet immense artiste. Et c’est là, à mon avis, la plus grande réussite de la pièce.
Jusqu’au 15 janvier
À l’Usine C
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