Gertrude (Le Cri) : Liaison pornographique
Scène

Gertrude (Le Cri) : Liaison pornographique

Avec Gertrude (Le Cri), l’Espace Go propose une équivoque variation d’Hamlet, et ce, malgré l’intérêt du propos de Howard Barker et l’admirable saut tête première d’Anne-Marie Cadieux.

On s’y attendait un peu, Serge Denoncourt traite ouvertement de ses investigations personnelles. Depuis quelque temps déjà, le metteur en scène nous présente sa recherche quasi mystique de l’extase. Gertrude (Le Cri) reprend ce dernier thème, le corrélant cette fois à sa vision du pouvoir féminin.

L’auteur Howard Barker s’approprie ici le mythe d’Hamlet, centrant l’action autour du désir que la reine Gertrude s’amuse à inspirer à la cour. Hamlet y verra une entrave à la pureté juvénile dont il ne veut se départir, tandis que Claudius sombrera dans une vénération qui entraînera l’hécatombe. Car la jouissance physique de la reine exige la mort d’un sujet. Or, si ce texte (étonnamment chétif de la part de l’auteur du Tableau d’une exécution) réussit parfois à tracer des zones d’ombres intéressantes, la mise en scène de Denoncourt ne s’appuie pas sur l’humanité consciente et condamnée que dépeint l’auteur. Elle se construit plutôt sur une série de gags qui s’épuisent rapidement.

Pourtant, nous sommes bel et bien au centre du propos que chérit Denoncourt. Déjà, sa mise en image du Peintre des Madones de Michel Marc Bouchard superposait l’iconographie religieuse et l’exaltation profane des toiles du Caravage. Or, si les choix esthétiques sont dangereusement les mêmes (la toile, la démonstration répétée de l’acte sexuel), Denoncourt n’offre ici aucun contrepoids à l’érotisme débridé de ses personnages. Voilà peut-être ce qui explique l’apparent manque de substance de l’entreprise. On se demande si le tout prendra une dimension substantielle alors que la comédie soufflante se transforme rapidement en un imbroglio de genres.

Ainsi, Hamlet (Olivier Morin au sommet de sa forme) saute de la parodie d’apartés au réel désespoir, les gags côtoyant les efforts de crédibilité. Il en résulte une ambiguïté générale qui, au lieu de créer un effet d’étrangeté efficace, ne parvient qu’à nous déconcerter. Ophélie (Émilie Bibeau) et le Comte Albert (Maxim Gaudette) jouent le Feydeau annoncé alors que le personnage de la belle-mère Isola (Monique Miller) claudique entre les différents styles. Seul Jean-François Casabonne, en domestique troublé, réussit à amalgamer habilement les deux niveaux de jeu sans excès, parvenant ainsi à créer un personnage inquiétant. Denis Roy réussit, miraculeusement, à défendre la figure romantique de Claudius entre les blagues scéniques de ses compères. Anne-Marie Cadieux, au centre de cette mixtion, laisse parfois entrevoir un certain déjà-vu, ne serait-ce que dans ses intonations chantées. Mais la générosité avec laquelle elle plonge transforme l’absence d’argument en véritable acte de bravoure artistique. Si la justification d’une telle vulnérabilité sur scène reste obscure, l’incarnation en demeure admirable. Reste à savoir cependant si ce portrait de femme en est réellement un.

Jusqu’au 12 février
À l’Espace Go

Voir calendrier Théâtre