Le Passé antérieur : Genèse d’une passion
Dans Le Passé antérieur de Michel Tremblay, on perce enfin le mystère du complexe personnage d’Albertine, que l’on a connue dans Les Chroniques du Plateau Mont-Royal comme intransigeante, enragée, insensible.
À l’hiver 2003, le directeur artistique du Théâtre de l’Île Gilles Provost et la metteure en scène Claire Faubert prenaient siège à Montréal pour assister à la première de la 24e pièce de Michel Tremblay, Le Passé antérieur, mise en scène par André Brassard à la Compagnie Jean-Duceppe. Deux années plus tard, les deux amants de théâtre québécois décident de reprendre l’œuvre, qui jette la lumière sur un des personnages cultes du dramaturge: Albertine.
On retrouve ainsi le personnage alors qu’elle est âgée de 20 ans, naïve, pure, mais déjà éperdument enlisée dans ses fantasmes amoureux. "Au fond, c’est la genèse de la rage d’Albertine et la genèse de toute cette famille aussi. On les découvre alors qu’ils sont jeunes", explique Claire Faubert.
Amoureuse d’un commis voyageur, Albertine se voit abandonnée pour sa sœur cadette, nettement plus douce et surtout moins possessive. "On découvre que, finalement, c’est un chagrin d’amour qui l’a menée là, et donc, c’est une pièce sur l’amour, sur l’intransigeance de l’amour, sur le côté fantasmatique de l’amour, combien on investit dans quelqu’un. Il y a des choses qui n’existent même pas…" réfléchit celle qui avait aussi mis en scène Albertine en cinq temps de Tremblay alors qu’elle dirigeait le Trillium. "Je connaissais très bien le personnage. De le voir à 20 ans était très intéressant. On savait qu’Albertine était une enragée, qu’elle avait battu ses enfants, qu’elle les avait rejetés… Je la connaissais très bien, mais je n’avais pas la carte principale, c’est-à-dire ce qui avait fait ce qu’elle était devenue. Il y a toutes sortes d’événements qui jalonnent une histoire…"
Pour le personnage d’Albertine, véritable colonne vertébrale de la pièce, Claire Faubert a misé sur le jeune talent de Chanda Legroulx, une étudiante qu’elle avait remarquée dans un des cours qu’elle donne au Département de théâtre à l’Université d’Ottawa: "Albertine, c’est un tempérament de feu, c’est un beau personnage. Les hommes pourraient tomber amoureux d’elle à n’en plus finir. Elle est belle… Chanda a un feu intérieur, puis elle a la beauté. Ça prenait quelqu’un de fascinant, de complexe. Elle ne pouvait pas être une laideron parce que ce n’aurait pas été crédible. Elle est dans ses rêves, dans sa bulle au beau milieu de la crise économique qui sévissait en 1930. C’est un milieu presque sordide, alors pour elle, l’amour, c’est comme ce qui lui permet de s’échapper." Pour les autres personnages, Claire Faubert a aussi fait appel à d’anciens étudiants de l’Université, tels Magali Lemèle dans le rôle de Madeleine, Constant Bernard, qui incarne le frère Édouard, Pierre Simpson dans le rôle d’Alex et Micheline Marin dans le rôle de la mère Victoire. "Pour moi, c’était important d’avoir des acteurs qui ont l’âge des personnages parce que, dans un si petit théâtre, c’est difficile de tricher. C’est une question de texture de peau, de fragilité et de voix", indique la metteure en scène.
La pièce se divise en quatre confrontations: une avec chaque membre de la famille, soit sa mère Victoire, sa sœur Madeleine, son frère Édouard et finalement son ex-amoureux Alex. Ainsi, Albertine aura tenté par tous les moyens possibles de regagner le cœur d’Alex, en vain. Se voyant vaincue, "Bartine" se fermera comme une huître, jurant à sa mère de ne jamais plus aimer, de ne jamais plus pleurer, fermant la porte au rêve et à son destin.
Claire Faubert trouvait par contre qu’il manquait une partie du puzzle à la mystérieuse colère et à la hargne d’Albertine. C’est pourquoi elle est allée piger quelques répliques qui se trouvent dans La Maison suspendue de Tremblay en créant un court prologue qui expliquent l’histoire de Victoire et de la conception d’Albertine.
"Je me suis dit que si les gens ne connaissent pas parfaitement la saga familiale de Tremblay, ils ne sauront pas qui est l’amoureux mystérieux de Victoire… Ils ne sauront pas qu’au fond, Albertine est le fruit de l’inceste et qu’elle a hérité de toute la rage de sa mère. Avec le prologue, les gens vont avoir assez de renseignements pour que les choses aient du poids, pour qu’ils apprécient certaines répliques qui n’avaient pas de sens ou de grande valeur sans cette information que je leur donne", conclut une Claire visiblement fascinée par l’univers qui entoure la pièce.
Jusqu’au 26 février, du mercredi au samedi à 20 h
Au Théâtre de l’Île
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