Pièces de guerre : La vie après la mort
Scène

Pièces de guerre : La vie après la mort

Les Pièces de guerre d’Edward Bond: une trilogie qu’Armand Deladoëy ramène à l’essentiel.

Conçu par Le Crochet à nuages, une compagnie fondée par le metteur en scène suisse Armand Deladoëy qui met l’accent sur le jeu de l’acteur, le Projet-Bond a permis à des diplômés du Conservatoire de Lausanne et de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM de travailler durant trois ans sur les Pièces de guerre d’Edward Bond. Le collectif, qui a créé les deux premiers volets au Théâtre Vidy-Lausanne en septembre 2003, propose ces jours-ci, entre les murs de l’Usine C, l’intégralité de la trilogie.

Fascinante adresse au public, Rouge, noir et ignorant offre la vision horrible d’un monde violent et déshumanisé. Le monstre, un homme à la peau rouge (subjuguant Marc Mayoraz), met en scène des épisodes d’une existence qu’il n’a pas connue puisqu’il est mort sous le feu des bombes avant même de naître. Sur un plateau exigu, dans un dépouillement scénographique des plus efficaces, s’enchaînent des tableaux plus percutants les uns que les autres. Empruntant au théâtre d’agitation-propagande tout autant qu’aux procédés brechtiens, la représentation dévoile les plus insidieux mécanismes de la vie en société, les plus bas instincts de la race humaine. Concise et systématique, cette première portion constitue, du moins du point de vue de la mise en scène, la plus achevée du cycle.

Dotée d’une forme plus classique évoquant la tragédie grecque, La Furie des nantis se déroule dans un désert post-nucléaire. Un groupe de rescapés s’y croient invincibles jusqu’à ce que l’arrivée d’un étranger coïncide avec le déclenchement d’une épidémie qui les exterminera peu à peu. Installés de part et d’autre d’un vaste plateau blanc et nu, les spectateurs assistent aux affrontements d’une microsociété dont les membres s’agitent dans la poussière des cadavres. Bien que le public ne soit plus positionné que d’un seul côté de la scène, l’action de la troisième pièce, Grande Paix, semble se déployer dans le même désert que la précédente. Une bande sonore angoissante, des éclairages plus léchés et de superbes projections au sol contribuent à instaurer une ambiance cinématographique. En ces territoires hostiles, une femme qu’on ne sait morte ou vivante (ahurissante Maureen Chiche-Mayoraz) prend férocement soin d’un ballot de tissu qu’elle tient pour son enfant. Écorchée, repoussant l’aide qu’on lui propose, elle semble condamnée à l’exil.

Edward Bond a écrit ses Pièces de guerre au début des années 1980, en pleine guerre froide, à une époque où la menace nucléaire était plus palpable que jamais. S’employant à faire surgir le sens du plus total des chaos, le dramaturge britannique a choisi la destruction comme sujet à sa création, se permettant d’envisager l’apocalypse comme un fertile terreau pour l’art. Communiant à cette même utopie – en fait foi l’audace dont il témoigne en se mesurant à une œuvre aussi vertigineuse -, Armand Deladoëy ose croire que son geste d’artiste puisse en quelque sorte retarder l’anéantissement de l’homme par l’homme.

Jusqu’au 30 janvier
À l’Usine C

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