La Parlerie des mercenaires : Du rire aux armes
Scène

La Parlerie des mercenaires : Du rire aux armes

Avec La Parlerie des mercenaires, le Théâtre de l’utopie nous fait rire et réfléchir sur les revers de la démocratie.

Angelo Beolco (16e siècle vénitien), écrivain, acteur et metteur en scène italien, précurseur de la commedia dell’arte, est passé à l’histoire sous le nom d’un de ses plus célèbres personnages: Ruzante. La Parlerie des mercenaires ou Philosophes et Guerriers, un scénario de Cristina Iovita (qui signe aussi la mise en scène) d’après les Dialogues/Parleries de Ruzante et La République de Platon, met justement en scène ce personnage qui n’est qu’un paysan.

Pour éviter de crever de faim, Ruzante rejoint l’armée papale comme mercenaire contre les protestants. Sur le chemin, il gagne une certaine lucidité face aux actes de foi et en vient à déserter. Il aboutit à Venise où, épuisé et rongé par les poux, il s’endort et se met à rêver de Socrate et de Glaucon, son disciple favori. Les deux discutent de la guerre dans la société démocratique selon l’art des discours platoniques, à la limite du cabotinage et de la haute voltige intellectuelle. Au réveil, la réalité prend des allures de cauchemar pour le déserteur, mais donne à voir au spectateur d’amusantes scènes tonitruantes, festives et entraînantes.

Dans le style de la commedia dell’arte, les comédiens chantent, jouent de la musique, courent et se battent en une espèce de cirque qui semble ne jamais vouloir se calmer, malgré les joutes verbales et les discours. Comme Cristina Iovita l’a souvent fait dans ses mises en scène – pensons à sa remarquable adaptation de Jacques le fataliste en 2002 -, les comédiens n’hésitent pas à interpeller la salle et à improviser quelques lignes, si la situation l’exige. Ils sont tous très bons, particulièrement Érick Tremblay (Menato/Glaucon) et Charles Baillargeon (Ruzante). De plus, ces comédiens savent bien chanter et manœuvrer dans un genre exigeant physiquement comme intellectuellement. Malheureusement, la pertinence du personnage de Sosie semble moins évidente, mais peut-être est-ce seulement attribuable au jeu moins senti de Costa Tovarniski; on le sent mal à l’aise dans cette autre dimension que lui confère ce rôle. C’est par contre ce dernier qui a coordonné avec brio les mouvements de la troupe, qui se retrouve parfois dans des chorégraphies très précises dont un simple faux pas pourrait bousiller une série de réflexes attendus.

La Parlerie place le paysan à l’avant-plan, et c’était ça, surtout, la nouveauté de Ruzante à son époque. Iovita a su mettre en lumière tout le côté social de cet auteur qui, bien qu’ayant exposé la tragédie et la condition des paysans, donnait surtout dans l’esthétisme et la philosophie au sens large. Avec cette mise en scène, les grandes idées politiques semblent émaner de situations concrètes. On reconnaît là les préoccupations et la signature d’Iovita, et on oublie complètement les contradictions personnelles de Ruzante (pris dans une étrange lutte de classes: on se demande qui il servait) pour réfléchir à des concepts comme la démocratie.

Jusqu’au 12 février
À la Salle Fred-Barry

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