Le Professionnel : Les choses de la vie
Le Professionnel, un petit bijou signé La Veillée, repose sur l’excellent jeu des acteurs Gabriel Arcand et Onil Melançon.
Dans son bureau d’éditeur est assis un ancien écrivain, devant une machine à écrire. Nous sommes à Belgrade, alors que le régime communiste totalitaire vient de tomber. Pourtant, la pièce de Dusan Kovacevik transforme ce statut politique en métaphore. À la dimension historique s’ajoute la jonction, troublante, de deux vies qui semblaient inexorablement parallèles.
Teja, le nouveau directeur d’une maison d’édition, reçoit un jour la visite d’un homme qu’il ne connaît pas mais qui semble tout savoir sur lui. De l’anecdote simplette à sa chute d’un train il y a des années. Teja découvre alors que cet ancien membre de la police secrète avait pour mission sa filature. Pendant plus de 20 ans, celui-ci l’aura suivi partout; aura enregistré ses discours mais aussi ramassé derrière lui des objets oubliés ou perdus. C’est d’ailleurs à travers ces objets que le passé de Teja refera surface, teinté d’une jeunesse fougueuse aujourd’hui perdue mais surtout empreinte d’un pari, celui de rester libre. L’écrivain dissident qu’il était se heurtera de plein fouet à l’homme qu’il est devenu, le tout sous le regard presque bienveillant de l’ancien policier ayant dû lui aussi quitter sa vie d’avant en même temps que l’uniforme.
Dans une mise en scène sobre et d’une efficacité surprenante en cette ère de metteurs en scène technologues, la pièce étonne, ravit, bouleverse. Teo Spychalski ne tente aucunement d’imposer quoi que ce soit, ne reléguant toutefois pas les références culturelles en périphérie. Une lettre sera lue en serbe, la musique sera balkanique. Nous sommes bel et bien en ancienne Yougoslavie et pourtant, nous sommes en plein cœur de notre universalité. Ce fils ou cette fille que nous avons été… et nos oublis avec le temps qui coule.
Si le texte se révèle la pièce d’orfèvrerie annoncée (sauf pour ces scènes de rupture transformées ici en décrochages inutiles), Spychalski souligne la beauté de cette rencontre qu’a imaginée Kovacevik en laissant place à deux acteurs d’une justesse émouvante. Passé la surprise d’un jeu un peu souligné, on finit par en comprendre le manège. Chacun tente de percer l’autre sans se révéler. Les deux hommes se jaugent et s’embrouillent dans des sentiments contradictoires avec une aisance saisissante. Au rythme des révélations, Teja et son ancien détracteur se désarment sous nos yeux, se laissent emporter par cet étrange sentiment de reconnaissance qui naîtra des retrouvailles. Peu à peu, ils retirent le manteau, la veste, s’approchent l’un de l’autre. Devant nous, tous deux avancent, de plus en plus libres, sur un terrain miné. Gabriel Arcand parvient à passer de l’hypocrisie polie à l’ahurissement, tout en permettant au flot de souvenirs du personnage de nous ébranler. Onil Melançon réussit quant à lui un véritable coup de maître en laissant sortir des bouffées de haine en plein élan de compassion. Une merveille.
Jusqu’au 19 février
Au Théâtre Prospero
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