Lettres d’amour : Correspondance
Dans Lettres d’amour, le vieux duo de compagnons de théâtre Louison Danis et Gilles Provost se retrouve le temps d’échanger quelque correspondance intime. À qui de droit…
Seulement quelques indications ont été laissées par l’auteur A. R. Gurney dans sa pièce de théâtre "hors de l’ordinaire" Love Letters (Lettres d’amour): elle n’a besoin ni d’un théâtre, ni de longues répétitions, ni de décor comme tel, ni de mémorisation du texte, ni d’obligations de la part des deux acteurs au-delà du soir de la première… L’auteur propose également que les deux acteurs ne se regardent qu’à la toute fin de la pièce pour plus d’efficacité, puisqu’elle a été conçue pour être lue à voix haute par un acteur et une actrice d’à peu près le même âge, dont les personnages sont chacun dans leur intimité.
Ainsi, la pièce dépeint l’histoire d’amour et d’amitié qui a commencé par des billets échangés en classe entre deux marmots, et qui se soldera en une longue correspondance qui durera plus de 50 ans entre l’excentrique mais adorable Mélissa et l’homme rigide et introverti qu’est Andy.
C’est cette aventure que le directeur du Théâtre de l’Île Gilles Provost proposait l’été dernier à sa bonne amie, la comédienne originaire du quartier Côte-de-Sable d’Ottawa Louison Danis, pour des retrouvailles longtemps souhaitées. "Je pense qu’il n’y a personne qui a joué cette pièce-là sans avoir le kick de vouloir la faire avec quelqu’un en particulier", explique Gilles Provost, m’accueillant dans son étroit mais chaleureux bureau.
Et c’est bien malgré son horaire chargé que la comédienne, qui a dirigé le Quat’sous de 1986 à 1988 et qui a joué dernièrement le rôle de Nana dans Encore une fois si vous le permettez de Michel Tremblay, s’est libérée pour son ami de longue date. Connaissant récemment un succès plus populaire avec son rôle de maman Bougon, elle fut dernièrement récompensée par ses pairs en recevant le Gémeau pour un rôle principal dans Les Bougon, et plus récemment le Masque de l’interprétation féminine dans un rôle de soutien, dans Avec Norm de Serge Boucher au Théâtre d’Aujourd’hui.
Louison Danis et Gilles Provost ont accepté de livrer ici quelques parcelles de leur vie, de leur amitié et de leur passion…
MADAME
Dès l’âge de quatre ans, la petite Louison, qu’on imagine bouillante de vie, "achalait" déjà ses parents pour prendre des leçons de théâtre… À 13 ans, elle faisait son premier spectacle devant public, et à 15, elle partait en tournée avec une troupe semi professionnelle. "Mes parents me payaient des tuteurs pour que je ne sois pas en retard à l’école", se remémore-t-elle au bout du fil entre deux vols qui la mèneront à Sudbury pour une série de spectacles. À l’âge de 16 ans, son chemin croisa celui de Gilles Provost, qui fut l’un des premiers metteurs en scène avec qui elle travailla. "Nous avons gardé contact et entretenons une amitié très solide, atteste-t-elle. Après mes 166 personnages au théâtre, mes 37 ans de métier, les 20 productions et shows que j’ai dirigés, Gilles demeure le plus grand amoureux de théâtre que j’ai connu de ma vie, et pourtant, j’en ai connu du monde qui adore ça! C’est la seule personne que je connaisse qui prend trois semaines de vacances pour aller voir deux ou trois spectacles à Londres. Il est incroyable! Alors, c’est peut-être lui qui a réussi à me communiquer l’amour du théâtre plus que n’importe qui."
Dans les années 1960, elle travaille avec L’Atelier d’Ottawa, un théâtre que Jeanne Sabourin, Huguette Boisvenu et Jacqueline Martin ont fondé. Ensuite, elle crée des œuvres à portée sociale très audacieuses au Théâtre de l’Île sur des sujets tels l’homophobie, le sida, le suicide… "Je suis très sélective dans mes choix; si je ne sens pas qu’un spectacle peut me faire avancer dans ma compréhension humaine, je ne le fais pas. C’est ma première considération dans la vie, un de mes principaux moteurs. Il m’est arrivé à trois reprises d’accepter de faire des shows pour un contrat payant… Et les trois fois, ça a été un enfer pour moi, parce que c’était des plogues de public, parce que ce n’était pas assez costaud, pas assez intéressant… Pour moi, ce n’est pas un jugement de valeur sur les autres, c’est vraiment une confrontation avec mes valeurs personnelles quotidiennes. Et j’ai besoin de répondre à ça, sinon je n’ai pas toute l’énergie qu’il me faut… Il paraît que je suis une personne qui est très énergique, mais encore faut-il que j’y croie!"
À 28 ans, elle quitte sa région natale pour aller à Montréal. "Je suis partie de l’Outaouais parce que je commençais à en avoir fait le tour; j’avais besoin de stimulus, de rencontrer du nouveau monde", explique la comédienne maintenant âgée de 53 ans. "Par contre, je suis toujours restée attachée… On rit de moi à Montréal maintenant quand je dis: "Je ne suis pas Québécoise, je suis Franco-Ontarienne!" D’habitude, c’est plutôt le contraire. La plupart des gens arrivant des régions s’installent à Montréal et tout à coup n’ont plus d’identité, ce sont tous des Montréalais! Je pense que je suis la seule qui dit encore que je viens de l’Outaouais", ironise celle qui a d’abord fait ses études en anglais.
De prime abord, le seul questionnement que la comédienne a fait avant d’accepter le projet de Gilles a été au niveau de l’orientation homosexuelle de son partenaire, qui joue un rôle hétérosexuel. "J’ai toujours refusé de faire des histoires de couple avec des acteurs homosexuels auparavant. Je me disais que le public n’était pas dupe et s’en rendrait compte. Mais en vieillissant, certains préjugés sont tombés et j’ai pu faire la part des choses. J’ai découvert que tomber amoureuse n’a parfois rien à voir avec le fait qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel. Mon premier but étant d’avoir tout ce qui me permet de croire au personnage, je ne crois pas que j’aurais fait des scènes physiquement passionnelles. Je crois que le public, aujourd’hui, on peut lui faire comprendre tellement de choses avec ce qu’on ressent qu’on n’a pas besoin de l’étaler dans la gestuelle et le toucher. On n’a pas besoin de ça pour que le public croie à nos cœurs!"
MONSIEUR
"Louison est du genre à toujours se remettre en question dans un projet. Pour elle, ce n’est jamais vraiment fini, l’exploration d’un personnage ou d’une pièce… Elle va émettre un commentaire tout à coup qui va amener quelque chose de nouveau, sans pour autant chambouler tout ce qui a été élaboré. Elle a cette finesse, elle est intuitive et généreuse. Elle est exceptionnelle dans ce sens; c’est l’exception qu’on voudrait voir plus souvent. Et je souhaite avoir l’occasion de jouer une autre pièce avec 100 ou150 heures de répétition avec elle", confie l’acteur de 67 ans, qui songe vraisemblablement de plus en plus à se retirer d’ici quelques années.
Dans les années 1970, Louison et Gilles, qui revendiquaient la liberté de s’exprimer au théâtre alors qu’on devait parler comme un "Français fraîchement débarqué", s’attaquent à une lecture publique de Les Paons, un conte fantastique de Tremblay, aux répliques châtiées, basé sur un de ses cauchemars. Boudée par la critique, cette expérience servait, selon Gilles Provost, de préambule au défi, pour le duo, de la lecture des Lettres d’amour qui surviendra donc, des années plus tard. "On a vécu tellement d’émotions à travers cette expérience. Louison a une diction, une présence, une grâce incomparables!"
Louison et Gilles ont fait de nombreux projets ensemble avant qu’elle quitte la région: "Parfois, elle s’occupait des costumes parce que, dès le départ, Louison a toujours eu beaucoup d’intérêt pour le théâtre en gros. Chercher les accessoires, trouver la bonne tasse, c’est aussi important parce que ça va être une couleur dans la pièce…" raconte Gilles, se remémorant avec bonheur les années de théâtre derrière lui. "Je suis extrêmement privilégié, je suis entouré de femmes, de belles amitiés. Elles sont au nombre de six, je pense à Claire Flaubert, Hedwige Herbiet, Danielle Grégoire, Monique Landry et Louison, bien sûr. Toutes des amies fidèles qui m’ont généreusement aidé à guider certains de mes choix personnels et professionnels… Et bien sûr, la grande tante dans tout ça, c’est Viola [Léger]."
À TOI DE MOI…
Et si vous aviez à vous écrire mutuellement une lettre…
Louison Danis: "Si j’avais à écrire un mot à Gilles, ce serait privé! C’est sûr, parce qu’on a dépassé, et de loin, le mot public. Nous sommes de grands amis, on a une grande intimité, on a partagé beaucoup de choses ensemble. Alors, ce que je lui écrirais est personnel, mais c’est certain que ça finirait toujours par: "Avec loyauté et admiration"…"
Gilles Provost: ""Merci d’être dans ma vie… et d’y être restée." C’est ce qui me vient spontanément… Louison, c’est à la fois ma mère, ma maîtresse et ma sœur en même temps!" (Rires)
Du 9 au 11 février à 20 h
Le 12 février à 18 h et 21 h 30
À la Salle Jean-Despréz
Voir calendrier Théâtre