Robert Lepage et le Cirque du Soleil : Art martial
Scène

Robert Lepage et le Cirque du Soleil : Art martial

Le 3 février, Robert Lepage et le Cirque du Soleil présentaient en grande première KÀ, le plus ambitieux spectacle de la compagnie et le quatrième installé en résidence à Las Vegas. Nous y étions.

Un nouveau chapitre s’est ouvert dans l’étrange histoire d’amour que vit le Québec avec Las Vegas. Après de longs mois de conception et de rodage, le fruit de cette première collaboration entre Robert Lepage et le cirque le plus populaire du monde était dévoilé la semaine dernière à 4000 journalistes et personnalités de partout. En résidence au MGM Grand, dans un théâtre de 2000 places bâti à cette fin, devenait le quatrième spectacle permanent du Cirque du Soleil sur le Strip, après Mystère, O et Zumanity.

Première au Cirque du Soleil: s’articule autour d’une histoire, une aventure de bons et de méchants évoluant dans un univers volontairement intemporel, où s’entremêlent arts martiaux japonais, opéra chinois, capoeira brésilienne et rythmes africains. Deux jumeaux, héritiers d’un empire inventé, sont séparés à la naissance quand leur cour est attaquée par des archers malveillants. S’ensuivent combats de samouraïs, fuites par monts, par vaux et océans, plongées multimédias au fond des eaux… Mais tout ça n’est que prétexte: la production vient frôler le théâtre, il est vrai (d’où une réception critique parfois ambiguë, qui ne sait trop à quel genre se vouer), mais demeure avant tout un show de cirque, et c’est mal comprendre la nature de la proposition que de la comparer à ce que Robert Lepage et Ex Machina ont pu présenter jusqu’ici.

D’accord, les budgets quasi illimités permettaient aux créateurs de pousser plus loin l’exploration multimédia qui fait depuis longtemps leur signature, mais il s’agit d’une production présentée dans un cadre bien particulier, celui du divertissement grand public. Avec une durée de vie escomptée d’une douzaine d’années, à raison de 400 et quelques représentations par an, le spectacle doit s’adresser autant à un auditoire plus averti qu’aux délégués d’un congrès de machinerie agricole…

La réussite des artisans de est de parler à un public aussi large sans livrer un bonbon à la Disney, et d’avoir beaucoup humanisé une machine aussi lourde. Le spectacle émeut souvent, ses artisans nous faisant oublier un dispositif scénique extravagant, constitué de deux plateaux ultra-mobiles qui totalisent, avec leur attirail hydraulique, 200 000 kilos de ferraille. Les tableaux féeriques se succèdent pourtant, dont cette scène de bataille qui se joue entièrement à la verticale, où les acrobaties tiennent moins de la prouesse physique que de la note apportée à une vaste symphonie. Magie des contrastes: on s’émerveille tout autant d’une scène minimaliste où l’un des jumeaux et son protecteur se consolent de leur sort en jouant au jeu tout simple des ombres chinoises. Le fil dramatique n’est pas toujours très précis (on le perd quelquefois, malgré sa supposée simplicité), mais le fabuleux s’installe indéniablement, donnant raison aux centaines de personnes sollicitées directement par cette création hors catégorie, dont Mark Fisher, René Dupéré, Marie-Chantale Vaillancourt et Guy Caron.

Une fois encore, Guy Laliberté et ses amis ont fait pousser une fort jolie fleur dans le désert.