Marcelo Arroyo : Fou du roi
Scène

Marcelo Arroyo : Fou du roi

Marcelo Arroyo s’apprête à défendre Ce fou de Platonov.

D’origine chilienne, Marcelo Arroyo habite le Québec depuis l’âge de huit ans. Diplômé de l’UQAM et de l’École nationale de théâtre, le jeune homme a déjà une quinzaine de productions théâtrales à son actif. L’année dernière, Aphrodite en 04 lui permettait d’exprimer avec doigté les états d’âme d’un garçonnet surdoué. Ces jours-ci, sous la direction de Cristina Iovita, le comédien s’apprête à incarner la figure centrale de la toute première pièce de Tchekhov, Ce fou de Platonov. "On y trouve toutes les thématiques fondamentales de son œuvre, affirme Arroyo, la dépossession, la perte des idéaux, le refus de voir la réalité en face… En avance sur son temps, Tchekhov marque ni plus ni moins que le début de la modernité. Son théâtre constitue une grande source d’inspiration pour moi."

En 1880, alors âgé de 20 ans, le Russe Anton Tchekhov travaille à l’écriture de sa première pièce de théâtre. Jugée trop longue ou accusée de coller de trop près à l’actualité de l’époque, elle ne sera pas jouée du vivant de son auteur. Publiée en Union soviétique en 1923, elle ne sera traduite en français par Pol Quentin, sous le titre de Ce fou de Platonov, que 33 ans plus tard. Grâce à Jean Vilar, qui la crée au TNP en 1956, le public français découvre la pièce. Adapté au cinéma par Patrice Chéreau en 1986 (Hôtel de France), Ce fou de Platonov tient en ce moment même l’affiche à la Comédie-Française dans une mise en scène de Jacques Lasalle. Représentation cruelle d’une société en déclin, probablement l’un des plus sombres morceaux du répertoire tchékhovien, Ce fou de Platonov préfigure toute l’œuvre d’un grand écrivain. Le drame en quatre actes s’intéresse à un groupe d’intellectuels militant contre l’obscurantisme qui sévit dans les campagnes russes de la fin du XIXe siècle. Dans un univers en pleine désagrégation, leurs idéaux s’effritent et leurs comportements – affrontements stériles et vaines intrigues amoureuses – leur font perdre le respect et la confiance des concitoyens. Ainsi, les anciens héros vivent et meurent sans trouver de sens à leur existence.

LA CHUTE DES UTOPIES

Signée par Iovita, l’adaptation met l’accent sur les jeunes personnages. Metteure en scène engagée, elle trouve dans la pièce de Tchekhov un écho à ses préoccupations sociales et artistiques. Interrogeant le rôle de l’intellectuel dans la société moderne, les situations lui permettent de faire naître la réflexion par l’intermédiaire du rire. Le sujet a beau être tragique, les agissements des protagonistes comportent de nombreux effets comiques. Il n’en fallait pas plus pour que l’adepte de commedia dell’arte se penche sur un tel texte. "Tous les personnages de cette pièce sont un mélange des différents archétypes de la commedia dell’arte, précise Arroyo. Il y a chez Platonov des éléments du Matamore, de Pantalon et d’Arlequin. On puise à tout cela. Les figures nous servent d’outils, des outils qui permettent de jouer la situation et non les personnages comme tels." En plus d’avoir un rôle substantiel à défendre, Arroyo partage la scène avec des acteurs qu’il estime. "Quand j’ai su qui appartenait à la distribution (Charles Baillargeon, Charles Bender, Vincent Côté, Marina Egorova, Sharon Ibgui, Brigitte Pogonat, Mélanie Ricard, Pierre-Étienne Rouillard), j’ai dit oui tout de suite. Nous nous sommes adoptés dès la première répétition. Je suis très fier de travailler avec ces gens-là."

Bien que marié et père d’un jeune enfant, Platonov demeure sans raison d’être. Désabusé, ruiné et dégoûté de la société dans laquelle il vit, l’homme incarne parfaitement la chute des utopies, qu’elles soient socialistes, souverainistes, soixante-huitardes ou autres. "Déçu de ce qu’il a fait de sa vie, Platonov interroge, comme Hamlet, sa place dans la société. Tchekhov avait beau dire que ses pièces étaient des comédies, on y rit plutôt jaune. C’est sûrement cette mince frontière entre le comique et le dramatique qui a intéressé Cristina." Le jeune comédien parle en connaissance de cause puisqu’il collaborait avec la metteure en scène d’origine roumaine Cristina Iovita avant même qu’elle ne fonde, en 1999, le Théâtre de l’Utopie. "Dès notre rencontre, en 1998 à l’École nationale, ça a cliqué, se remémore le comédien. Répéter avec Cristina, c’est magique. Elle offre beaucoup de liberté aux acteurs, elle fait preuve d’une grande ouverture. Sa manière de procéder nous oblige à être à l’écoute. Elle nous permet de rester vivants."

Du 29 mars au 16 avril
Au Théâtre Prospero

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