La Tempête : Ombre et lumière
La Tempête de Shakespeare va souffler sur les planches de l’Auditorium Dufour. Les virtuoses de l’image Michel Lemieux et Victor Pilon et la metteure en scène Denise Guilbault en ont fait un grand voyage multimédia…
Huit ans après La Tempête 3D de Robert Lepage, le "testament dramaturgique" de Shakespeare passe entre les mains expérimentées de trois créateurs reconnus pour la force symbolique de leurs images. L’une maîtrise les rouages de la mise en scène et de la direction d’acteurs, les deux autres jouent avec la lumière en véritables sorciers. Un trio de choc pour la pièce la plus empreinte de magie de l’auteur du 17e siècle.
La Tempête est une pièce tellement riche qu’il aura fallu d’abord choisir un angle d’approche. "Le thème qui nous a ralliés est celui de la réconciliation, annonce Denise Guilbault. Nous avons été touchés par ce Prospéro de 40 ans qui, malgré les trahisons dont il a été victime, découvre à la toute fin que la solution est dans le pardon." Prospero, réfugié sur une île après avoir été destitué, entraîne ses ennemis dans une aventure dont il tirera les ficelles.
"Il faut souligner que Prospero choisit la connaissance et non le pouvoir, précise Victor Pilon. Voilà quelque chose qui pouvait avoir une résonance importante. Un personnage qui choisit d’abattre ses monstres intérieurs, ça nous a tous touchés." "On parle souvent de la jeunesse et de la vieillesse mais rarement de la maturité, poursuit Denise Guilbault. Et c’est souvent à cette période que l’on est en mesure de laisser tomber les rancunes." Michel Lemieux renchérit: "Dans nos créations (NDLR: celles effectuées par la compagnie 4D art qu’il dirige avec Pilon), nous questionnons toujours la dualité du vrai et du faux, de l’illusion et du concret. Nous sommes une société qui dérive dans la virtualité et je suis très bien placé pour comprendre ce phénomène, affirme en riant le magicien de l’image qui nous a offert notamment Orféo et Anima. Pour moi, le thème de la réconciliation englobe ça, c’est-à-dire savoir réconcilier l’imaginaire et la réalité."
TECHNIQUE MIXTE
La Tempête exigeant presque la technologie de par ses didascalies, la fusion du multimédia et du théâtre enchante visiblement la metteure en scène. "Je connais assez le théâtre pour connaître ses contraintes. Et soudainement, avec la technologie, il y en a beaucoup moins. Le fait de ne plus avoir certains obstacles auxquels nous sommes habitués a fait énormément bouger la réflexion sur la pièce. Par exemple, nous nous sommes mis à parler de ces scénarios mentaux que nous nous faisons pour régler des comptes le soir dans notre lit. On s’est finalement rendu compte qu’il était intéressant de partir de cette idée. Que tout se passe dans la tête de Prospero, que c’est avec lui-même qu’il fait la paix. Si nous n’avions pas eu le virtuel, je ne sais pas si nous aurions eu l’audace de penser que l’aventure est une imagerie mentale."
Quatre acteurs sur scène, donc, et six virtuels. "Le défi, c’est de garder un souffle théâtral pour tous, explique Guilbault. Les comédiens ont joué ensemble pendant les répétitions, même ceux qui ne seront que virtuels lors des représentations." "C’est d’ailleurs un bon exemple de l’adaptation de certaines techniques de cinéma pour le théâtre, continue Pilon. Voilà où peut se situer la différence entre la simple juxtaposition des médias et l’intégration que l’on cherche."
Le mariage semble donc prometteur. "C’était évidemment tentant de privilégier les artifices que nous étions capables de créer, conclut Denise Guilbault. Mais il fallait garder en tête que les personnages disent des choses importantes. Et toujours, il fallait que la technique serve le discours. Si ce n’était pas le cas, nous ne l’utilisions pas. Michel et Victor furent toujours d’une humilité exemplaire face aux exigences du théâtre. De toute façon, personne ne ressent le besoin d’ajouter un effet sur un acteur comme Denis Bernard. Aucune image ne serait à la hauteur. Voilà pourquoi les gens qui s’attendent à de gros effets spéciaux seront peut-être déçus. Parce qu’en bout de ligne, l’important reste le propos…". (J. Bérubé)
Le 7 avril à 20 h
À l’Auditorium Dufour
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SYSTÈME ORAGEUX
Photo: Victor Pilon |
Cette récente production du TNM, dans une traduction de Normand Chaurette, nous montre des comédiens disponibles aux nouvelles règles de l’art. Paraît-il qu’au moment d’imaginer sa dernière pièce, La Tempête, écrite en 1611 (cinq ans avant sa mort), le grand Shakespeare était fasciné par une technologie dernier cri: l’éclairage au fanal! Ce nouveau procédé l’aurait inspiré pour son ultime création. Écrite dans la quarantaine (qui ne représente pas, inutile de le dire, la même chose aujourd’hui qu’à cette époque), la pièce montre bien le questionnement d’un homme tenaillé par ses démons, qui tente de circonscrire son travail, de faire le point sur le chemin parcouru, comme de faire la paix avec lui-même. Au milieu de tout ça, demeuraient les préoccupations esthétiques et modernes d’un artiste conscient de la possible portée de sa parole.
Prospero (interprété par Denis Bernard), duc de Milan, dialogue avec les esprits de son île déserte et tente de dominer la situation par le verbe et la lucidité. Déjà éconduit par son frère, il fait face à Ariel, l’esprit des airs joué par Paul Ahmarani, et à Caliban, l’indigène fils de sorcière, toujours joué par Ahmarani. Là, s’engage une tempête artificielle qui traîne en sa spirale une flopée de figures qui ont marqué la vie de Prospero: sa fille Miranda (Éveline Gélinas), Ferdinand, fils d’usurpateur, joué par Steve Laplante, et d’autres qui démontrent, entre la magie et la prière, la suprématie du Bien, et les moyens utilisés pour conserver sa place dans la hiérarchie. On voit également une figure troublante du père, les visages du doute, et on entend le hurlement des convictions.
DU FANAL AUX PROJECTIONS HOLOGRAPHIQUES
À l’aide de projections, arrivent les comédiens Éric Bernier, Vincent Bilodeau, Pierre Curzi, Jacques Girard, Patrice Robitaille et Robert Toupin. Entre le cinéma et le théâtre, le dialogue se fait ici sans faille. Un véritable tour de force. La magie opère et on utilise brillamment les possibilités du médium, par exemple, en jouant avec les dimensions des personnages. Que les comédiens arrivent à projeter et à jouer avec les impératifs du théâtre pendant qu’à côté d’eux s’évertuent d’autres comédiens avec les nuances que permet le cinéma, cela démontre le travail technique énorme qu’ont dû accomplir ces derniers. (S. Despatie)