Alexandre Marine : Le passe-muraille
Scène

Alexandre Marine : Le passe-muraille

Alexandre Marine porte à la scène 28 28 et ajoute une nouvelle création à la feuille de route du Théâtre Deuxième Réalité.

Fondé en 1995, le Théâtre Deuxième Réalité a offert à ce jour une douzaine de productions aux spectateurs montréalais. Alexandre Marine, metteur en scène attitré de la compagnie, a commencé sa carrière en Russie à titre de comédien. Depuis qu’il est établi au Québec, il se consacre presque exclusivement à la mise en scène, signant des spectacles à Montréal, Moscou, Boston, New York ou Tokyo. En 1999, il recevait le Prix de la critique pour sa relecture d’Hamlet. L’année dernière, effectuant une entorse à ses habitudes, il endossait le rôle-titre du Suicidaire, une pièce de Nikolaï Erdman présentée à l’Usine C. Issues du répertoire classique ou contemporain, les écritures défendues chez nous par Marine proviennent essentiellement d’Europe de l’Est. En 2003, le créateur prenait la plume pour la première fois et offrait Le Silence 2. Ces jours-ci, il renouvelle l’expérience en portant à la scène sa deuxième œuvre originale, un conte pour adultes intitulé 28 28. Nous avons rencontré l’homme de théâtre en présence de celle qui a traduit son texte, Anne-Catherine Lebeau, une complice artistique de longue date qui a, pour l’occasion, servi d’interprète.

"Cette pièce est un conte, explique le fondateur du Théâtre Deuxième Réalité, plusieurs éléments font directement référence à un monde symbolique. L’action se déroule dans la tête du personnage principal, elle traduit donc son imaginaire, sa vie intérieure. Cette perception, plus importante que la réalité concrète, exprime parfaitement la démarche de la compagnie." Au cœur de 28 28 se trouve Bertrand, un individu ayant reçu à la naissance le don d’invisibilité. Cette figure de l’homme invisible constitue une prémisse hors pair pour qui souhaite mener une réflexion sur la fuite du réel. "Chaque être humain naît avec un talent particulier, affirme Marine, un don auquel il doit faire honneur. Le plus difficile, c’est de comprendre quel est ce talent. Si un individu n’arrive pas à identifier son talent, il peut commettre des gestes mauvais. Lorsque tu identifies ton talent, tu trouves le sens de ta vie."

PARTIE D’UN TOUT

Lorsqu’il prend conscience de l’ampleur de ses pouvoirs et surtout de la façon dont la société a commercialisé son don unique, l’homme invisible laisse tout derrière lui. Portant un nouveau nom, parlant une nouvelle langue, il s’installe sur une montagne enneigée auprès de Mira, réfugiée d’un pays de l’Est. "Peu importe où ils habitent, les êtres humains sont interreliés, précise Marine. Chaque individu est responsable des actions qu’il pose ou qu’il a posées. Se sauver complètement du passé est impossible, celui-ci finit toujours par revenir sous une autre forme." Ainsi, on apprendra que Mira tient un rôle dans la tragédie de Bertrand. "La guerre en Tchétchénie ou en Irak, soutient Marine, on a l’impression que c’est très loin, que ça ne nous touche pas, que ça ne nous affecte pas vraiment. On considère qu’on ne peut avoir que des opinions là-dessus, alors qu’en réalité nous en faisons partie, nous en sommes aussi responsables. C’est bien que chacun ait son individualité, mais nous avons tendance à oublier que nous sommes tous les petits éléments d’une grande planète."

Mettant en vedette Peter Batakliev, Vitali Makarov, Maria Monakhova et Igor Ovadis, 28 28 devrait présenter à nouveau cet alliage de dérision et de tragédie, ce mélange détonnant de comique et de politique qui permet au Théâtre Deuxième Réalité de laisser sa marque. "Je pense que le théâtre sans humour n’existe pas, déclare Marine. Le théâtre où tout est sérieux ne m’intéresse pas. Dans les situations les plus dramatiques, il peut se produire quelque chose d’absolument ridicule. Cet humour est inhérent à la vie elle-même. Le vrai théâtre, celui qui parle de l’être humain, ne peut séparer le rire et la réflexion. L’être humain est tellement complexe. Une seconde, il peut s’abaisser à faire quelque chose d’horrible et la minute suivante, sauver une vie. Nous sommes tous faits d’ombre et de lumière." Malgré la précarité financière dans laquelle sa compagnie évolue, Alexandre Marine semble déterminé à persévérer. "Nous refusons de nous taire parce qu’il n’y a pas d’argent, dit-il. Notre talent, à nous, c’est de faire du théâtre. Il faut maintenir un dialogue avec le public. Si on nous empêche de faire ça, on nous enlève le sens de notre vie."

Du 6 au 23 avril
Au Théâtre La Chapelle

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