Paul Ahmarani : Alerte météorologique
Scène

Paul Ahmarani : Alerte météorologique

Le vent a tourné pour Paul Ahmarani, qui personnifie deux rôles dans la production du TNM La Tempête de Shakespeare. Le sort en est jeté…

Si on a surtout vu Paul Ahmarani au cinéma ces dernières années, dans La Moitié gauche du frigo de Philippe Falardeau ou dans les films de Sébastien Rose, Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause et son dernier, La Vie avec mon père, c’est d’abord à la scène que le jeune acteur avait consacré sa carrière. L’acteur de 33 ans, qui a travaillé quelques années à Las Vegas en tant que maître de cérémonie pour le Cirque du Soleil, n’a pu refuser l’offre de Denise Guilbault lorsqu’elle lui a téléphoné pour lui proposer deux rôles dans ce grand projet théâtral. Deux rôles qui se sont vite transformés en un seul. "On en est venu elle et moi à la conclusion que ce serait intéressant de conjuguer les deux rôles. Pour un acteur, c’est inespéré de jouer deux rôles antagonistes de cette envergure dans une pièce si importante du répertoire shakespearien."

Ainsi, les rôles d’Ariel, l’esprit angélique des airs, et de Caliban, l’indigène primitif et difforme, ne font qu’un, tel un double qui transige entre le bien et le mal. "On ne voulait pas le faire schizophrénique, c’est-à-dire que l’un des personnages n’ignore pas la présence de l’autre. Lorsqu’Ariel cesse d’espérer en son maître Prospéro pour qu’il le libère, il redevient le Caliban qu’on le soupçonne d’avoir été. Ainsi, il préfère retourner vers quelque chose de plus animal, de plus agressif, l’attaque étant la meilleure défensive."

On se rappellera que dans ce classique, Prospéro, l’érudit duc de Milan, se fait détrôner par son frère Antonio avant d’échouer sur une île avec sa fille. Ayant maîtrisé les éléments par sa science, avec l’aide d’Ariel et de Caliban, il ruminera sa vengeance, engendrant une énorme tempête afin de faire échouer le bateau de ses ennemis.

C’est rien de moins qu’une mise en scène à trois têtes que le TNM proposait avec La Tempête en début d’année: à Denise Guilbault, qui s’occupe de la direction d’acteurs, se joignent Michel Lemieux et Victor Pilon de 4D art, virtuoses de l’image qui s’occupent de l’aspect multimédia. Parce que si La Tempête est l’œuvre la plus jouée de Shakespeare, le trio présente, à partir de la traduction de Normand Chaurette, une toute nouvelle proposition.

"C’est très sportif de faire un classique. C’est un défi physique et psychologique à la fois, il y a beaucoup de difficultés réunies dans un même rôle. Il y a d’abord la langue à se mettre en bouche, les deux rôles à se mettre dans le corps. Et on joue sur un décor très ingrat, fait de piles de faux manuscrits. La dernière difficulté est liée au virtuel, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on donne la réplique, la majorité du temps, à des personnages qui ne sont pas là."

LE MAGICIEN DES TOURMENTS

Ainsi, trois comédiens réels sont sur les planches lors des spectacles: Denis Bernard (Prospéro), Éveline Gélinas (sa fille Miranda) et Paul Ahmarani (Ariel et Caliban). Cinq autres acteurs ne sont là qu’en présence virtuelle: Éric Bernier, Vincent Bilodeau, Pierre Curzi, Jacques Girard, Patrice Robitaille et Robert Toupin.

"Habituellement, quand un acteur se fatigue, il peut compter sur son partenaire pour le soutenir, pour qu’il y ait échange d’énergie. Or, dans ce cas-ci, on s’est rendu compte que si on reste dans l’écoute, comme on le ferait avec un acteur en trois dimensions, tout meurt, tout devient plat, et on commence à voir les ficelles, les projections, puis à voir un acteur qui les écoute… Il faut rester très vivant même dans le corps, plus qu’on le serait normalement, parce qu’étonnamment, aussi belle et réussie soit la projection, elle ne supporte pas la présence d’un véritable acteur à côté d’elle, si ce dernier s’amoindrit. Il faut donc réussir à maintenir un jeu relativement énergique pour garder la projection à sa place. Sinon, soit ça devient plate, soit la projection prend le dessus."

Le texte de Shakespeare étant un des plus riches et faisant appel à la fantasmagorie, les créateurs ont cru bon d’adopter un angle de traitement se concentrant sur les thèmes du pardon et de la réconciliation auxquels fait face le personnage de Prospéro. "À un moment donné, Michel [Lemieux] était très fâché contre quelqu’un de la production qui nous avait fait perdre presque cinq heures de travail, et Victor lui a dit: "Si tu ne peux pas apprendre de La Tempête, Michel, pourquoi tu la fais?"En voulant dire: "Si tu ne peux pas apprendre de Prospéro, de son pardon, pourquoi tu montes la pièce?" Il a retourné la situation afin d’en tirer les leçons de façon très ponctuelle, j’ai trouvé ça formidable", raconte Paul Ahmarani.

Si le polyvalent acteur a eu un plaisir certain à incarner ces personnages dans La Tempête, il n’est pas en reste quant à ses autres projets puisqu’il s’apprête à lancer à l’automne son premier disque solo avec Audiogram. Il ajoute ainsi une nouvelle corde à son arc, en plus de collaborer au mixage avec nul autre que le magicien Carl Bastien. En attendant de nous faire connaître son prometteur univers musical, il nous propose un univers orageux dans La Tempête.

Le 15 avril à 20 h
À la Salle Odyssée