Paula de Vasconcelos : Entre chien et loup
Paula de Vasconcelos poursuit sa réflexion sur le sort de notre planète avec 5 heures du matin.
Metteure en scène, chorégraphe et codirectrice artistique de la compagnie Pigeons International, Paula de Vasconcelos signait l’année dernière Babylone, un hommage somptueux aux forces vives de la planète. En ce moment, la créatrice peaufine le deuxième volet de sa Trilogie de la Terre. Intitulé 5 heures du matin, le spectacle puise son inspiration dans un tour du globe photographique accompli par Serge Clément.
Alors que Babylone abordait la préoccupante question planétaire en revisitant le mythe d’une ville fondatrice, 5 heures du matin observe notre monde au temps présent. Rencontrée dans ses studios de répétitions, la metteure en scène explique les raisons pour lesquelles elle a choisi d’ancrer sa nouvelle création dans ce moment charnière qui, vers les cinq heures, sépare le jour et la nuit. "Notre volonté première était de prendre des photos autour du monde. C’est en cherchant un fil conducteur qu’est apparue cette idée d’explorer l’heure très mystique où la nuit s’achève et le jour se lève, un moment où l’être humain est dans un véritable état d’abandon. À l’extérieur, il y a un silence, une suspension. La planète est à son moment le plus doux et le plus fragile. Cette impression est universelle, on la ressent partout dans le monde."
Communiant aux aurores de Dakar, Lisbonne, Budapest, Istanbul, Mumbai, Bangkok, Valparaiso et New York, Serge Clément a appuyé plus de 15 000 fois sur le déclencheur de son appareil. "J’ai observé des planches-contacts pendant des jours, se remémore de Vasconcelos. J’essayais de trouver des images qui pourraient coexister avec ce qui se déroule sur scène. Je voulais que chacune d’elles porte une émotion, pas juste esthétiquement, mais aussi humainement." Puisque les femmes s’aventurent rarement dans les rues à cinq heures du matin, on voit surtout des hommes sur ces photos. "Ils marchent seuls ou dorment en groupe dans les rues, décrit la metteure en scène. Ce sont des marchands, des livreurs de journaux, des pêcheurs… Ce ne sont pas des photos de guerre ou d’horreurs, pas des images de détresse. Bien sûr, il y a beaucoup de pauvreté, mais pas de malheur, pas de tristesse."
D’abord tentée par l’idée d’introduire les photos dans la trame narrative du spectacle, la créatrice choisit plutôt d’employer les images comme un écrin où déposer l’action. "Ces photos existent en soi, elles n’ont pas besoin d’être expliquées. Nous en avons fait un temple de l’humanité, un contrepoint à l’histoire individuelle du personnage central et un rappel constant de notre appartenance à quelque chose de plus grand." Au centre du récit qui sert de colonne vertébrale à la représentation, il y a une femme dans la quarantaine qui souffre d’un malaise qu’elle ne parvient pas à définir. "C’est une femme qui va bien, explique la metteure en scène. Elle n’a pas vécu de tragédie, mais elle porte malgré tout une douleur énorme, un malaise dont le spectacle ne révèle la vraie nature qu’à la toute fin." Réfractaire aux mots – elle considère qu’ils atrophient les réalités qu’ils tentent de traduire – cette femme devra apprivoiser le langage. Comme son personnage, de Vasconcelos a toujours entretenu une certaine suspicion envers la parole. "Je trouve plus facile de saisir l’essence des choses par le mouvement que par les mots, déclare-t-elle. Je me sens plus à l’aise de dire les choses profondes avec le corps." Ainsi, transcendant l’anecdote qui lui sert de point de départ, la représentation déclenche à nouveau ce dialogue entre le théâtre et la danse, ce langage singulier et affranchi qui a valu sa réputation à la compagnie. Outre Violette Chauveau – qui se mesure pour la première fois aux méthodes vertigineuses de Pigeons International -, les interprètes (Milene Azze, Anne Le Beau, Rodrigue Proteau et Bruno Schiappa) ont déjà collaboré avec le groupe. Alors qu’elle signe elle-même les costumes et la scénographie, la metteure en scène a fait appel à Guy Simard, un concepteur aussi talentueux que sollicité, afin de réaliser les éclairages. Sans trouver de réponses aux souffrances du monde, de Vasconcelos exprime le dilemme moral que pose l’état alarmant de la planète. "Je sais qu’il y aura toujours des tragédies et des événements merveilleux. On n’y peut rien, c’est l’essence même de l’humanité. Pourtant, je me sens tiraillée et responsable du malheur des autres."
Du 12 au 30 avril
À l’Usine C
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