Sylvie Moreau et Jean-Frédéric Messier : Rythme de passage
Sylvie Moreau et Jean-Frédéric Messier amorcent un dialogue sur une question fondamentale: pourquoi donc les gens s’animent-ils autant sous la grande boule disco?
"Le texte, ici, c’est le mouvement et la musique", affirme Sylvie Moreau, qui est à l’origine de Discotëk, pièce conçue également avec François Papineau et Réal Bossé. Le texte ayant une charge tellement forte, la compagnie Momentum a voulu travailler avec un autre langage pour que le spectateur puisse s’abandonner au spectacle sans être constamment bouleversé par les mots, et en quelque sorte freiné par eux. "Le contexte dans lequel ce spectacle est monté fait que le public devient la faune de la discothèque, alors que les acteurs peuplent le plancher de danse. Les gens sont debout et ils vont déambuler. C’est un bon show de Momentum, où tu dois te responsabiliser comme spectateur et choisir ton point de vue", poursuit Moreau. Pour les comédiens, ce n’est pas facile non plus: "Momentum appelle un certain type de travail, chacun doit assumer ce qu’il fait, raconte Jean-Frédéric Messier (pour la cause, le dramaturge s’est transformé en D.J.). Ici, on ne respecte pas la notion de base de l’interprète qui doit faire ce qu’on lui dit, on cherche des créateurs-interprètes."
Sylvie Moreau est arrivée avec une structure de base, mais c’est l’expérimentation avec les comédiens qui a véritablement posé les jalons. Mais qu’est-ce que c’est exactement, Discotëk? Une comédie de science-fiction? Une critique sociale? "C’est une étude, un regard anthropologique sur les comportements dansés des humains dans des lieux où ce n’est pas avec les mots que l’on peut échanger." La pièce nous amène en l’an 3005, à la Biennale d’anthropologie émotive et humaine, où seront présentés les découvertes en 4D d’un certain docteur, joué par Réal Bossé, et dont la traductrice-interprète est incarnée par Sylvie Moreau. Tout ce beau monde se penche alors sur le phénomène des discothèques. "Le but était de faire une observation assez distanciée, c’est pour ça que la prémisse se situe en 3005, quand tout ça n’existe plus. Nous sommes alors des genres d’archéologues du futur, des anthropologues qui, après avoir découvert certains artefacts, ont essayé de refaire l’histoire des comportements des gens dans ces lieux qu’on appelle ici des temples, et qui s’appelaient discothèques. Ça nous permet donc des libertés dans notre interprétation, de la poésie, ça nous permet de décoller."
ZOOM SUR ZOO
"On a commencé ça quand on a fait L’Incompréhensible Vérité du maître, poursuit Moreau. C’est une des 12 messes qu’on avait faites avec Momentum. François Papineau, Réal Bossé et moi avions créé une espèce de parcours dans la forêt qui était aussi une sorte d’étude des êtres instinctifs, qu’on avait voulue sans mots, sans texte. On s’est dit que ce serait bien de poursuivre cette recherche mais avec des comportements urbains et contemporains. En comparaison, l’autre création était plus de l’ordre du primitif." Mais la faune urbaine forme un drôle de zoo également, et l’occasion de faire le zoom sur les habitués de ces lieux de rencontre que sont les bars et les discothèques est venue assez naturellement. "À peu près à la même époque, j’ai fait une grosse tournée à travers le Québec avec la pièce Les Voisins. On a joué dans près de 40 villes, et après les spectacles, souvent, n’ayant pas grand-chose à faire, on se retrouvait dans les discothèques ou les bars de l’endroit. Ce sont des lieux assez formidables pour l’observation des comportements, des générations, des hommes, des femmes, des solitudes, des couples…"
Pas de jugement, pas de posture, il s’agit d’observations, d’une volonté de comprendre ce qui pousse les gens à fréquenter ces lieux. "On voulait qu’il y ait une certaine distance et une certaine poésie. L’idée n’était pas de regarder comment les gens se comportent dans tel ou tel bar de tel coin en particulier, mais bien de faire ressortir les comportements les plus intimes, les plus instinctifs, mais sans jugement." Pour Jean-Frédéric, le contexte futuriste n’est qu’un prétexte pour fortifier cette distance désirée: "Ça permet aussi de voir la discothèque comme un rite, comme un endroit où la tribu s’exprime. Donc, ce regard futuriste emprunté est là pour donner une valeur archétypale. On cherche à comprendre globalement ce qui s’exprime là, au-delà de "qu’est-ce qu’on fait le samedi soir?"; à quoi ça correspond profondément, cette affaire-là, pour l’être humain."
Du 12 au 30 avril
À l’Aria
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