Jouliks : Donner sa langue au chat
Dans Jouliks, pièce rappelant l’univers sulfureux de Tennessee Williams, Marie-Christine Lê-Huu livre une performance et un texte bouleversants.
Le défi était de taille. L’auteure avouait il y a quelques semaines avoir de la difficulté à reconnaître la maternité d’une telle écriture. Et pourtant, Marie-Christine Lê-Huu déploie devant nous une histoire somme toute simple mais livrée avec émotion et dans une langue irrésistible.
La Petite a sept ans. Les genoux calleux sous ses pantalons poussiéreux, elle est le témoin de l’amour qui consume ses parents, Véra et Zak. Or, voilà qu’un jour, la Mé et le Papé descendent d’un train, apportant dans leurs valises les rêves déçus d’une mère qui espérait mieux pour sa fille et le consentement muet d’un père qui n’a jamais su faire front. Le drame attendait, tapi derrière les étreintes. Il n’y a pas plus violent que l’amour qui ne sait pas se dire.
Véritable descendante des Carson McCullers et Réjean Ducharme, la Petite narre donc les événements dans la langue poétique des enfants qui jouent avec les roches. La mort est pour elle un corps de chat où il n’y a plus de chat dedans. Elle traduit les silences, justifie les coups, parfois extérieure à l’action mais toujours subissant l’histoire, impuissante devant le vent de l’orage qui se prépare. Lê-Huu est troublante de justesse dans ce rôle impossible où l’adulte se cache dans le corps malingre d’un enfant. Minuscule sur scène, elle irradie.
La scénographie de Jean Bard, rappelant les champs brûlés du Sud, participe à créer l’ambiance torride demandée. Au loin, l’ouragan couve alors que devant, la paille se mêle aux cheveux. Le metteur en scène Robert Bellefeuille réussit à faire vivre un monde qui palpite. Mais Jouliks marque également le retour en force de la comédienne Catherine Bégin, impitoyable Mé, prisonnière des idéaux de toute une génération. D’une précision jusque dans les moindres détails, Bégin porte la pièce vers des moments de pur ravissement. Le propos ne réinvente certes pas la roue, le tout repose bel et bien sur des mécanismes émotifs, mais le charme opère. On en sort habité.
Jusqu’au 30 avril
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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