Une adoration : Le procès
En portant Une adoration à la scène, Lorraine Pintal épouse avec maîtrise et sensibilité l’œuvre polyphonique de Nancy Huston.
Entre Lorraine Pintal et les confessions tumultueuses des personnages d’Une adoration, la rencontre était pour le moins prédestinée. Hommage grandiose à l’amour et à la création, le plus récent roman de Nancy Huston offre à la metteure en scène un territoire tout désigné, une architecture à la hauteur de ses ambitions. Comédien au charisme fou, Cosmo est assassiné dans d’étranges circonstances. Appelés à la barre, les protagonistes vont énoncer leurs versions des faits, livrer leurs vérités. Au terme du procès, toutes les trajectoires auront révélé leurs jonctions, hommes et femmes auront scintillé dans la cosmogonie d’un individu mythique.
Lorraine Pintal signe une adaptation ample et équilibrée, une orchestration de témoignages dont l’intérêt s’avère croissant. Pourtant, le caractère éminemment narratif du roman aurait pu miner la théâtralité de l’entreprise. Au contraire, tout en parvenant à traduire l’infinie richesse d’un entremêlement de récits, le texte présente contrastes et fluidité. Voilà une réussite qu’il faut également imputer aux neuf comédiens d’une impeccable distribution. Nuancé et méticuleux, Emmanuel Bilodeau entraîne le spectateur dans les profonds tourments de l’insaisissable Cosmo. Marie Tifo endosse avec un investissement peu commun la délicate fonction de l’auteure, cet alter ego scénique de la romancière, véritable maîtresse de céans. L’émotive Elke permet à Macha Limonchik de sculpter une nouvelle incarnation de cet alliage unique de candeur et de gravité dont elle possède le secret. Adoptant avec justesse les élans désespérés des adolescents rebelles, Benoît McGinnis et la très douée Marie-Ève Pelletier font très bonne figure dans les rôles de Frank et Fiona. Malgré de rares apparitions, Louise Turcot et Pierre Collin campent avec beaucoup de ferveur Josette et André, les parents courroucés de Cosmo. Alors que Dany Michaud incarne Kacim avec conviction, le violoniste Charles-Étienne Marchand est Jonas, un personnage qui ne s’exprime ici que par l’intermédiaire de son instrument.
Prolongeant sa fructueuse collaboration avec Lorraine Pintal, Danièle Lévesque signe une scénographie des plus efficaces. Tirant habilement profit des hauteurs et des profondeurs, cet emplacement décrépit – tenant à la fois du garage désaffecté, de la salle paroissiale ou du théâtre abandonné – permet de convier une multitude de lieux. De la moindre ouverture, trappe ou fenêtre, Axel Morgenthaler fait surgir la lumière. De la nostalgie de l’accordéon aux déchirements du violon, les compositions de Robert Normandeau épousent avec grâce les détours empruntés par chacun des plaidoyers. Objet obscur et pourtant chatoyant, Une adoration opère une exaltante mise en procès du désir. En plus de relancer le spectateur vers l’œuvre à sa source, la représentation laisse espérer que, dans un avenir pas si lointain, la metteure en scène donne à nouveau corps aux voix de l’écrivaine.
Jusqu’au 7 mai
Au Théâtre du Nouveau Monde
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