Scène

Visage de feu : Classique instantané

À ce jour, la pièce-choc Visage de feu a créé la commotion dans une trentaine de pays. Rencontre avec son auteur, Marius von Mayenburg, tête forte de la nouvelle dramaturgie allemande.

Formé en écriture dramatique à l’Académie des beaux-arts de Berlin, Marius von Mayenburg n’a que 26 ans lorsque Visage de feu est créée à Munich en 1998. L’année suivante, la pièce bardée de prix est dirigée à Hambourg par le réputé Thomas Ostermeier. Cette collaboration permettra à von Mayenburg de devenir auteur et dramaturge permanent à la prestigieuse Schaubühne de Berlin. À ce jour, le texte a été monté dans une trentaine de pays. D’origine roumaine, le metteur en scène Theodor Cristian Popescu vit à Montréal depuis l’an dernier. En 1998, il rencontre Marius von Mayenburg pendant une résidence internationale d’été au Royal Court Theatre de Londres. À sa première lecture de Visage de feu, c’est "un coup de massue, une révélation". Sept ans plus tard, Popescu dirige Amélie Bonenfant, Simon Boudreault, Éric Paulhus, Philippe Thibaudeau et Cristina Toma dans la première québécoise et canadienne de la pièce.

Apparentée à des dramaturgies aussi cruelles que celles de Sarah Kane, Edward Bond ou Bernard-Marie Koltès, l’œuvre de Marius von Mayenburg semble emblématique du nouveau théâtre allemand. Lapidaire, Visage de feu traduit avec une exceptionnelle concision le chaos de notre époque. En investissant les moindres replis du quotidien d’une famille moyenne, elle donne à entendre cet amalgame de violence et de poésie qui déferle en tout homme. "Le théâtre a toujours été violent ou considéré comme tel, affirme von Mayenburg par voie électronique. Le drame émerge toujours du conflit, et l’une des stratégies humaines les plus significatives (pas les plus plaisantes, naturellement) pour traiter le conflit est la violence. La violence relève donc du genre théâtral lui-même. Il me semble que la violence est un des plus grands problèmes, si ce n’est le défi le plus crucial de l’humanité. Comme les avancées de la science et de l’art, la violence semble être un facteur constant dans une définition de la race humaine. Les raisons de la violence demeurent, malgré tant de recherches, énigmatiques. La violence est toujours la grande question et le théâtre est l’endroit le plus approprié pour poser cette question."

MICROCOSME FAMILIAL

Sur le plan de la langue aussi bien que de la structure, Visage de feu aborde de manière tout à fait originale la question du naufrage de l’autorité parentale. Pour exprimer l’incapacité des adultes et la rage incontrôlable qui en découle chez les adolescents, la pièce enchaîne 94 instantanés théâtraux, des scènes aussi brèves que denses. "Alors que les Grecs anciens croyaient que nous pouvions apprendre quelque chose au sujet de la nature humaine en regardant des personnages se débattre au cœur de conflits tragiques, notre société moderne tente à tout prix d’éviter la tragédie, explique von Mayenburg. Ainsi, les conflits sont résolus par la police et les juges avant qu’ils ne deviennent tragiques ou violents. La société délègue la violence à l’État. Par contre, la famille est un endroit presque anarchique. Il est très difficile pour un enfant maltraité de faire appel à la police ou à un avocat. La famille fonctionne toujours selon un système archaïque. Pour moi, décrire la famille est une manière d’aborder les conflits archaïques de la société moderne. Je crois qu’il est nécessaire d’étudier la nature humaine avant d’inventer des idées et des idéologies pour l’être humain." L’auteur avoue aussi que sa pièce est une réaction au monde dans lequel il vit: "On m’a dit à l’école que personne n’aurait besoin de ma génération, qu’il n’y aurait jamais de travail pour nous. Je suis sûr que cette frustration a pénétré la pièce d’une façon ou d’une autre. J’ai bien peur que la plupart des jeunes Allemands d’aujourd’hui soient effrayés par l’avenir et qu’ils suivent les modèles de leurs parents ou grands-parents afin de se sentir en sécurité. Pourtant, il y a une relation forte entre les jeunes artistes internationaux et les gens de théâtre qui expriment leur mécontentement. Plusieurs de mes meilleurs amis et collègues habitent l’Australie, l’Argentine ou la France. Je trouve ma propre identité au-delà des frontières d’un pays déterminé."

Du 26 avril au 14 mai
Au Théâtre Prospero

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