L’Opération : La quête
L’Opération, toute dernière production du Théâtre CRI, met en scène une muette rêvant de devenir chanteuse d’opéra. Maud Côté, comédienne, Guylaine Rivard, metteure en scène, et Martin Giguère, auteur (et comédien), se font entendre sur le sujet.
Évidemment, et surtout lorsqu’on est un peu familier avec le travail du Théâtre CRI, on se doute que la pièce ne saurait se résumer en si peu de mots. Ce work in progress en processus depuis deux ans est d’abord issu d’une idée de Guylaine Rivard, directrice du Théâtre CRI et metteure en scène de la pièce. "L’opéra a toujours fait partie de mon entourage et, en un sens, m’a toujours fascinée. Ma mère en écoutait beaucoup, commence-t-elle. Le projet initial était d’explorer la voix, de broder autour de l’idée de l’opéra. J’ai imaginé ce personnage de muette qui rêve de devenir cantatrice… Le travail est aussi sur la réalisation des rêves." Munie de son personnage de muette, de l’univers de l’opéra et d’un titre, L’Opération, elle approche Martin Giguère, qu’elle a apprécié lors de la création de Job, première pièce du jeune homme. "En fait, quand mon idée a germé, précise la metteure en scène, j’avais aussi en tête une comédienne, Maud Côté. Je savais que je ne m’éloignerais pas de mon projet de départ en travaillant avec Maud, avec la voix de Maud et l’énergie de Maud."
C’est donc ce trio qui était attablé ce mercredi-là autour de cafés et jus, et de ce curieux projet de pièce de théâtre qui est en train de voir le jour. Comme ils en avaient long à dire, laissons simplement résonner leur voix.
Guylaine Rivard: "Donc je suis allée trouver Martin avec le canevas pour lui proposer d’écrire la pièce."
Martin Giguère: "Je me suis retiré tout seul au chalet. Je ne fais jamais ça… Normalement pour écrire, j’aime m’entourer de mes livres. Cette fois, j’ai écouté de l’opéra, beaucoup d’opéra. Et j’ai puisé dans la mythologie égyptienne et dans l’univers de Cocteau et d’Alain Le Breton. Pour moi, c’était vraiment un travail à contraintes. En plus, j’écris habituellement des pièces beaucoup plus longues: Onan a 23 000 mots, 100 pages. Cette pièce-là ne devait pas dépasser 1 h 15.
GR: "Une heure et demie!"
MG: "En tout cas, c’était certainement une autre façon de travailler."
Maud Côté: "Mais trouves-tu que ça valait la peine? Recommencerais-tu?"
Quand les interviewés sont à ce point emballés qu’ils font les questions et les réponses, ça augure bien! L’auteur a dit oui, l’exercice lui a plu. Même lorsque la metteure en scène lui a demandé, presque embarrassée d’une telle requête, s’il acceptait de lui laisser son texte "comme un outil, comme du matériel, quitte à ce que rien ne demeure au bout du compte, pas même un mot."
MG: "Ça ne me dérangeait pas. J’étais même content. Je savais que la pièce était en processus, que ce n’était pas final."
GR: "Finalement, on n’y a presque pas touché, au texte. Mais cette liberté-là que m’a donnée Martin m’a permis de me laisser couler dans le projet, ça m’a débloquée. Et ça a aussi permis à Maud de définir son personnage, de se l’approprier. Elle est partie du personnage même de la muette, pour aller au texte, et non le contraire."
Seconde Cératias est une femme qui a été séparée de son frère jumeau lorsqu’elle était petite. Depuis, elle est plongée dans un total mutisme. Adulte, elle devient guérisseuse et ouvre une maison de soins pour chanteurs d’opéra. Personnage complexe s’il en est, cette femme silencieuse est déterminée à réaliser son rêve de devenir cantatrice, coûte que coûte.
MC: "On ne peut pas tellement expliquer Seconde, elle est plutôt à découvrir sur scène."
GR: "Elle a à faire rien, si on peut dire, mais ce rien est énorme. Elle doit imposer sa présence, par l’énergie de son souffle. C’est ce personnage qui nous nourrit."
MC: "Au début, je n’y croyais pas! Je n’ai pas du tout une voix pour chanter de l’opéra, j’ai du mal à tenir une note! Mais j’ai dit oui, comme ça, en farce. Et ce oui est devenu officiel, parce qu’avec Guylaine il faut travailler avec la confiance. Elle me faisait confiance."
GR: "J’avais vu travailler Maud, elle se met dans un tel état, tellement puissant, tu y crois. Tu te dis que c’est vraiment la plus grande chanteuse au monde."
MC: "Pour moi, c’est vraiment un acte de foi. Je n’ai pas de souffle, je n’ai pas de coffre. Si j’y pense trop je me remets trop en question. C’est vraiment une folie!"
GR: "C’est vrai que c’est un travail de confiance. Je demande aux comédiens de se mettre en danger en quelque sorte. Ils jouent tous des personnages qui ont une faille… Je pense qu’on a réussi à créer un univers particulier grâce au texte de Martin."
MG: "Ce n’est pas tant grâce au texte qu’au projet comme tel."
MC: "Ce sont tous les éléments mis ensemble… C’est digne du Théâtre CRI."
GR: "Je pense que c’est vraiment un travail d’équipe! Les personnages n’étaient rien au départ. Les comédiens ont créé leur personnage, ils se sont inventé un parcours, une existence."
MC: "C’est que Guylaine est, comment dirais-je? Sensible? Ouverte? Elle a une grande ouverture d’esprit. Quand on lui propose des choses, elle écoute."
GR: "C’est vrai que je suis ouverte aux propositions, même celles qui semblent les plus folles; c’est un ingrédient important. Martin m’en a proposé beaucoup, c’est un grand auteur, mais aussi un grand fou!"
Les habitués le savent, le Théâtre CRI met en scène des mondes dingues, parfois cruels, parfois glauques, dramatiques, mais toujours avec humour et cette fantastique folie qui envoûte, enchante et laisse sans voix.
Du 6 au 8 mai et du 11 au 15 mai
À la salle Pierrette-Gaudreault
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L’ÉQUIPE OPÉRATOIRE
Maud Côté, Sonia Desmeules, Stéphane-Frédérik Germain, Martin Giguère, Marie-Noëlle Lapointe, Sara Moisan, Caroline Tremblay et Pierre Tremblay sont comédiens.
Hélène Soucy est conceptrice des costumes et de la scénographie.
Dominik Bédard a conçu les éclairages et Patrice Leblanc s’occupe du son.