Lysistrata : L'antique politicienne
Scène

Lysistrata : L’antique politicienne

Dans Lysistrata, des femmes usent de leur pouvoir sur les hommes pour rétablir la paix. Rencontre avec Isabelle Bélisle, qui s’est penchée sur cette histoire qui envoie encore aujourd’hui de surprenants échos.

En 1969, le Théâtre français du Centre national des Arts inaugurait sa première saison avec la production Lysistrata dans une adaptation de Michel Tremblay et d’André Brassard. Denise Filiatrault en tenait le rôle-titre. Plus de 35 ans plus tard, le Théâtre de l’Île fait revivre cette comédie d’Aristophane qui date de 411 avant Jésus-Christ. Gilles Provost en a confié les rênes à Isabelle Bélisle, qui présentait il y a deux ans Vol au-dessus d’un nid de coucou avec beaucoup de discernement. "Gilles m’a proposé de monter un spectacle avec des femmes puisque la distribution de ma dernière production était majoritairement constituée d’hommes", se rappelle une Isabelle Bélisle rayonnante. Ayant découvert la pièce alors qu’elle étudiait pour devenir comédienne à Lionel-Groulx il y a 15 ans, c’est d’abord l’aspect féministe qui l’a interpellée à ce moment-là. Ce classique de la Grèce antique a été joué et lu à travers le monde et le personnage est maintenant devenu une figure emblématique lors de conflits militaires. L’histoire de cette femme qui, en réaction au départ de son mari pour la guerre, a rassemblé toutes les femmes de la Grèce, amies comme ennemies, pour les amener à faire la grève du sexe afin d’obliger leurs maris à faire la paix a de tout temps touché les pacifistes de ce monde.

Maintenant mère d’un premier enfant, Isabelle Bélisle fait une lecture tout autre de la pièce à cette période de la vie: "Lorsque je l’ai proposée à Gilles, il y avait autre chose qui m’éveillait. D’abord, la version de Tremblay-Brassard est beaucoup plus dramatique, voire tragique, que la version originale. Ils l’ont écrite en pleine révolution tranquille, avec l’arrivée du féminisme et la guerre du Vietnam… On sent bien que ça a nourri cette adaptation et, donc, le côté social est beaucoup plus fort. (…) Des choses me dérangeaient plus profondément, tout l’aspect humain de l’œuvre: la violence faite aux vieillards, aux femmes, la non-conciliation et la conciliation… Comment la solidarité peut sauver l’être humain. Toutes ces strates me sont apparues dans le texte et l’ont bonifié, m’ont amenée plus loin."

Elle ajoute: "Plus ça va, plus je m’aperçois qu’il y a toujours une relecture à faire. C’est un spectacle qui est double, il faut gérer vraiment deux choses: le tragique, le comique; le grotesque, le beau; le grossier, le prude… C’est vraiment comme un char grec avec deux chevaux, que je tire et que je mène…" clame-t-elle dans un éclat de rire.

LES BULLES

Dans une production communautaire qui rassemble 16 comédiens d’expérience différente – 10 femmes, 6 hommes -, la metteure en scène a décidé de faire une version relativement fidèle à la tradition grecque: les décors en sont inspirés, un flûtiste et un percussionniste meublent l’espace sonore et les comédiens occupent tout l’espace de la salle de théâtre. "La difficulté s’inscrit dans le parler de ce texte-là, la difficulté de le rendre vrai, d’arriver à le détacher de sa poésie pour absorber le texte dans le corps. (…) J’ai demandé à des comédiens, des Nord-Américains, de vivre dans une bulle tout autre, parce qu’ils sont pris les uns sur les autres. On n’est pas habitués ici, on a de l’espace. J’aurais probablement eu moins de difficulté avec des Asiatiques pour qui la bulle personnelle est beaucoup plus restreinte. Mais là, je demandais aux comédiens d’êtres collés et plantés là, de perdre leurs repères matériels."

Pour sa Lysistrata, Isabelle a reçu Édith Villeneuve en audition et n’a pas hésité longtemps avant de lui donner le rôle. L’adaptation présente laisse aussi beaucoup de place à cette femme victorieuse: "Lysistrata, c’est une femme parmi tant d’autres qui a une idée et qui est tout d’un coup portée par cet espoir-là. Pour moi, ce n’est pas une femme exceptionnelle à la base, elle le devient par ce qu’elle fait, par son geste. (…) Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un voyage qui se passe en elle lors de cette quête de pouvoir. Elle prend de l’importance, puis elle devient très puissante, tout le monde la suit et l’écoute. Même si elle est partie avec l’idée d’aller contre la corruption, elle s’y perd, elle se prend pour un héros…", observe-t-elle pour conclure.

Du 11 mai au 18 juin à 20 h
Du mercredi au samedi
Au Théâtre de l’Île

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